Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
LES MONNERON

« savoir. » Alors il rentre dans ce que j’appelle le droit commun de l’humanité. Sinon, non. Et de même pour la liberté. Nous n’avons pas à la donner, au nom de nos principes, à des gens qui nous la refuseraient au nom des leurs. Les libéraux l’ont eue, cette duperie. Où cela les a-t-il menés ? À la loi de 1850 et à la rentrée des Jésuites. Voilà ce que j’aurais répondu à Crémieu-Dax. Sa faiblesse m’étonne Je l’aurais cru plus énergique. Mais il est juif. Il aura craint d’être accusé de préjugés confessionnels. Ce sont ces générosités-là qui nous perdent. Nous avons peur du jugement de nos ennemis. Qu’est-ce que cela nous fait ? Ce sont nos ennemis, et nous nous battons. Il faut être à droite ou à gauche. Moi, je suis à gauche… Conquérons la liberté d’abord, nous la pratiquerons ensuite… »

— « Je ne peux pas penser comme toi, mon père, » répondit Jean. Ce fanatisme d’incrédulité qui venait d’inspirer à l’universitaire, si cultivé d’autre part, si indulgent, si dépourvu d’égoïsme, cette dernière phrase, étonnante d’intolérance, avait touché dans l’amoureux de la pieuse Brigitte une fibre trop sensible. Si, par crainte de peiner son père, il s’abstenait de montrer ses préoccupations religieuses, elles étaient trop sincères déjà, et cet amour les lui rendait trop chères pour qu’il ne trouvât pas dans cette émotion la force de protester contre ces maximes de tyrannie et d’inquisition, professées au nom d’une doctrine de libre examen et d’affranchissement : « Et toi-même, »