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BERTHE PLANAT

rien, et ce rien suffisait pour que des flots de poésie ruisselassent dans ses veines. Berthe était jeune, il était jeune, et c’était le printemps ! Les profondes identités d’esprit, les ressemblances fraternelles de pensées devinées chez elle, tant de grâce unie à tant de sérieux, la violente antithèse de sa beauté et de ses travaux, la fraîcheur et la délicatesse de ses traits associées à des visions de maladies et de mort, de lits d’hôpital, de tables de dissection, l’étrangeté de leur rencontre et son manque complet de tout élément conventionnel, l’appréhension et le désir de leurs prochaines entrevues, — que de principes de passion pour un enfant de cet âge et qui n’avait jamais aimé ! Comme il les avait sentis remuer en lui et quels instants il avait passés là ! Ils flamboyaient dans sa mémoire comme une aurore. N’avait-ce pas été celle de son bonheur ? Oui, il avait été heureux, bien heureux, comme on l’est à vingt-trois ans, lorsque la fraîcheur intacte du désir, la confiance dans le tendre génie féminin, et aussi l’indéfini du temps devant la passion permettent au cœur de s’épanouir par la seule présence de ce qu’il aime, et de s’en contenter. Plus tard, l’expérience désabusée de la vie, les exigences de l’orgueil viril, l’impression poignante des jours comptés, s’insurgeront contre les romanesques et naïves ivresses de l’amour sans aveu et sans possession. Mais, à l’orée de la jeunesse, le cœur étouffe de timidité devant cet aveu, tant il tremble de déplaire. Cette possession le brûle à l’avance de telles ardeurs qu’il lui est presque doux de la reculer. Il sait si bien que l’avenir lui appartient, que dans un an, dans deux, dans dix, il n’aura point passé la saison d’aimer