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UN DIVORCE

s’essuyant les yeux et en passant ses mains sur son front, comme pour dissiper un cauchemar. — « C’est indigne d’un homme. Mes nerfs m’ont trahi. J’en suis maître à présent, je peux vous répondre enfin, et vous expliquer les raisons de mon état. Mais il faut que j’obtienne de vous une promesse d’abord… Quoi que je vous dise, voulez-vous vous engager à me le pardonner ?… »

— « Je vous connais trop, Lucien, » répliqua-t-elle doucement, « pour croire que vous me direz jamais un mot que vous n’auriez pas dû prononcer et dont j’aurais à vous en vouloir… »

Il hésita devant cette réponse évasive. L’énormité de l’accusation dont il allait se faire l’écho lui apparaissait comme si monstrueuse qu’il insista :

— « Cela ne me suffit point. Je veux une promesse positive, ou bien je n’aurai pas la force… Et cependant, il faut que vous sachiez cela. Il le faut pour moi. Il le faut pour vous. Promettez-moi que vous me pardonnerez… »

— « Soit, » fit-elle, « je vous le promets. »

— « Merci ! » répondit-il, et, brusquement : — « Vous connaissez-vous des ennemis, Berthe ? » interrogea-t-il.

— « Moi ?… » dit-elle, avec une poussée de rougeur à ses joues. Elle venait de voir en pensée son unique ennemi en effet, l’immonde Méjan, ce cabotin du féminisme par qui elle avait été séduite dans des conditions qui constituaient un atroce abus de confiance. Il l’avait abandonnée, aussitôt enceinte. Quand elle le rencontrait dans la rue maintenant, c’était chaque fois un coup au cœur, à croire qu’elle allait défaillir. Ils ne se saluaient même pas, mais de quel regard arrogant il la sui-