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UN DIVORCE

— « De quoi suis-je donc accusée, » interrompit-elle, « qui puisse être comparé à un vol ?… » Son accent s’était fait amer pour poser cette question. Elle avait discerné, dans le ton de Lucien, et dans les termes encore mystérieux, mais pour elle si clairs, dont il se servait, la façon de penser contre laquelle son orgueil se rebellait depuis quatre ans. Son oncle, le républicain radical ; son maître, M. André, le vieux professeur socialiste, eux aussi, en dépit de leurs doctrines sur les impostures de l’Église et les iniquités du Code, l’avaient considérée comme déshonorée, parce qu’elle s’était donnée hors du mariage, c’est-à-dire en se passant de cette Église menteuse et de ce Code criminel ! Ils l’avaient condamnée, pourquoi ? Parce qu’elle avait eu le courage de leurs idées ; et elle écoutait le même arrêt d’ostracisme, prononcé avec une férocité inconsciente par l’homme qu’elle aimait tant :

— « Ah ! » gémissait-il, « c’est pire. On vous accuse… Voyez. Je ne peux même pas articuler l’horrible chose… » Puis, sauvagement, se déchirant, s’ensanglantant le cœur à ses propres paroles et trouvant un réconfort dans l’intensité de cette souffrance qui lui faisait sentir l’intensité de son amour : — « On vous accuse d’être partie de chez votre oncle, quand vous avez quitté Clermont, avec un amant ; d’avoir vécu avec lui, d’en avoir eu un enfant… Il était étudiant en droit, raconte-t-on, et s’appelait Méjan. On raconte que, vous aussi, vous étudiiez le droit alors. On ajoute que vous vous êtes brouillés, et que vous avez changé de Faculté, pour ne plus vous rencontrer avec lui. Je vous dis tout : c’est mon beau-père qui vient de me répéter ces ignominies, il n’y a pas deux