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FIANÇAILLES

permettait plus de s’y tromper : elle était à la merci de Lucien. Dans une heure, demain, il reviendrait. Elle le verrait de nouveau, à ses pieds, éperdu de désir, s’approchant d’elle, l’affolant de ses regards, de son souffle, de ses caresses. Une seconde fois, elle résisterait, une troisième, puis elle céderait… Et alors elle ne serait plus la femme qu’elle s’enorgueillissait d’être depuis sa rupture avec l’indigne Méjan, celle qui a le droit d’assimiler une liaison irrégulière à un mariage, à cause de son unicité. Elle serait la jeune fille qui a eu deux amants. Les antiques vérités morales concordent d’une si étroite façon avec les intimes besoins de notre personne, que les âmes de bonne foi les affirment, malgré elles, dans l’instant même où elles les nient. Pour continuer de s’estimer, cette théoricienne de l’Union libre avait besoin de pratiquer les vertus de fidélité, fût-ce dans la séparation la plus justifiée, que l’Église impose à l’épouse chrétienne. La perspective d’y manquer la confondait par avance de honte, — ce mot qui avait jailli pour la première fois du fond révolté de son cœur, au sortir de cette faiblesse si courte, si incomplète ! Qu’eût-ce été si elle s’était donnée, tout à fait ? Cette honte redoublait par la vision anticipée des sentiments que Lucien éprouverait, auprès d’elle maintenant, qu’il éprouvait déjà. Elle avait voulu, au cours de ses études médicales, et par une rancune vengeresse contre la duperie de ses anciens songes, lire tous les livres où les entraînements de l’amour sont considérés d’un point de vue exclusivement pathologique. Elle savait que, par une affreuse loi de la sensualité masculine, la jalousie agit sur certains hommes, à