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Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/149

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FIANÇAILLES

laisser cette question se poser devant elle. Sa force y aurait défailli. Décidée à ce que la journée ne se passât point sans qu’elle eût adopté un parti définitif, elle eut l’énergie d’agir aussitôt. Il y avait dans le service du professeur Louvet, à l’Hôtel-Dieu, un interne originaire de Montpellier. L’étudiante se dit qu’il assisterait assurément à l’opération que Graux, le chirurgien, devait tenter sur ce malade du lit n° 32 dont elle avait répété à Lucien la stoïque parole. Elle ne se doutait guère qu’elle devait si vite la prendre à son compte !… Et elle se mit en mesure de se rendre à l’hôpital comme à son ordinaire. Son cœur battait à se rompre, malgré tous les raisonnements, lorsqu’elle passa devant la loge. Allait-elle apercevoir, dans le casier qui lui était réservé, une enveloppe avec l’écriture de Lucien ?… Ne l’attendait-il pas lui-même, en haut des marches de cet escalier de la rue Monge qu’elle prenait toujours, pour, de là, par la place Maubert et le pont, gagner la place Notre-Dame ?.. Aucune lettre n’était dans le casier… Lucien n’était pas dans la rue… Pour ce matin, elle était à l’abri.

Cette constatation aurait dû, après ces réflexions de la nuit et du matin, calmer un peu son inquiétude. Mais non. L’amoureuse en elle, par un illogisme trop légitime, avait secrètement attendu et désiré cette périlleuse présence que les portions raisonnables de son être redoutaient au point de lui suggérer le projet de l’exil sans retour. Après s’être défendu de se demander ce que ferait Lucien, elle se demanda soudain pourquoi il n’avait rien fait, comment il ne s’était pas rapproché d’elle après qu’ils s’étaient quittés ainsi. Cette idée,