Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
LA PLAIE OUVERTE

Sulpice, en effet, cette fois-ci, vers les neuf heures, elle avait trouvé Darras qui l’attendait, habillé pour sortir.

— « Pourquoi ne m’as-tu pas prévenu ? » lui demanda-t-il. « J’avais besoin de te parler. »

— « J’ai conduit Jeanne à la messe, » avait-elle répondu.

— « À la messe ? » avait remarqué le père. « Mais ce n’est pas dimanche. »

— « Elle y va souvent en semaine, avec les autres premières communiantes, » avait dit Gabrielle.

— « Est-ce bien nécessaire ? » avait repris Darras. « Je te renouvelle mon conseil d’hier. Puisque l’enfant a un peu de penchant au mysticisme, ne laisse pas se multiplier ces impressions-là… »

— « Ah ! qu’elle ait de la foi, » avait-elle répondu, « beaucoup de foi ! Elle n’en sera que mieux armée contre les épreuves de la vie… »

Darras l’avait regardée avec étonnement, et elle s’était sentie rougir. Elle avait attendu une question qui n’était pas venue, — malheureusement. Dans la disposition où elle était, elle n’aurait pas pu mentir et la révélation de ses troubles religieux, à cette minute, n’aurait pas eu le caractère de tragique violence qui devait plus tard rendre le conflit entre les deux époux plus irréconciliable. Albert Darras avait pensé que la préoccupation de l’absent était la seule cause de cette nervosité. Il avait donc continué, simplement :

— « Je voulais te prévenir que je vais de ce pas rue Rollin. Je tiens à savoir si Lucien s’est installé chez cette fille… Je ne le crois pas. Mais il peut être là, et nous devrions aviser. S’il est vraiment