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SILENCES

tu ne te possèdes pas. Ni moi non plus… Et j’entends Jeanne qui descend. Qu’elle ne soupçonne rien, je t’en conjure ! Elle est si fine, qu’elle ne devine pas ce que tu penses, jamais, jamais ! Ne touche pas à sa foi, mon ami, à cause de ce que je viens de te déclarer… Ah ! promets-le-moi !… »

— « Je n’ai pas deux paroles, » fit Darras. « C’est un principe qui m’aura coûté cher. Mais je ne suis pas de ceux qui laissent leurs impressions gouverner leurs idées. Je suis engagé. Je continuerai, à agir avec elle comme j’ai toujours agi… »

Les aiguilles de la petite pendule Louis XVI placée sur la cheminée du même style marquaient en effet midi, l’heure du déjeuner. Le soleil de ce beau jour du premier printemps, ce tiède soleil qui avait enveloppé de sa caressante lumière, ce matin même, les fiançailles de Lucien et de Berthe, assis sur le banc solitaire des Arènes, entrait maintenant à pleins rayons dans le petit salon où se tenait ce groupe des deux époux, jadis si unis et menacés de la plus cruelle, de la plus irrémissible des séparations, celle des croyances. Ce soleil jouait sur la guipure bise des rideaux de vitrages. Il courait sur la soie rayée de la tenture, sur la laque des meubles aux délicats motifs rubannés, aux nœuds finement sculptés, frais décor déjà un peu passé, mais sa coquetterie attestait avec quel souci d’élégance soigneuse les moindres détails de cet intérieur avaient été disposés. Le bonheur que cet ensemble de choses gracieuses avait longtemps encadré était, lui, passé tout à fait, et les physionomies de Gabrielle et d’Albert contrastaient d’une manière bien frappante, par leur expression tour-