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SILENCES

autre, commet l’adultère. Toute femme qui quitte son mari et en épouse un autre, commet un adultère. Prouve-moi que cela n’est pas écrit. Tu ne peux pas… »

— « Non. Mais je reprends le terme même dont je me suis servi et que tu as relevé, je t’ai prouvé et je te prouverai que les Évangiles sont eux-mêmes des livres composés, non par Dieu, mais par des hommes, sur un autre homme, un très grand homme, le plus grand des hommes, si tu veux, par la vertu, la pureté d’âme, la morale, mais un homme tout de même, et qui, par suite, pouvait se tromper. Et là, le sens commun démontre qu’il s’est trompé… »

— « Tu m’as prouvé et tu me prouves que tu ne crois pas, et moi, je crois, » répondit Gabrielle. « Je crois, comme l’apôtre, parce que j’ai vu. Oui, j’ai vu des yeux de mon âme celui que tu dis n’avoir été qu’un homme agir et vivre dans le cœur de Jeanne. J’ai vu cette enfant grandir en perfection sous une influence qui ne pouvait venir que d’en haut, qui supposait un esprit éclairant, guidant, aimant son esprit. Je te l’ai dit et je l’avais dit au Père Euvrard, la mère en moi s’est rendue à cette lumière. J’ai compris que, si une piété comme celle de mon enfant n’était qu’un mensonge, tout mentait au monde, et tout ne ment pas, tout ne peut pas mentir. Ma raison se refuse à l’admettre. C’est la raison d’une ignorante, mais le Père Euvrard, lui, n’est pas un ignorant. Il pense comme moi, cependant, et pas sur ce point seulement, sur l’autre aussi… »

— « Quel autre ?… » interrogea Darras, presque avec détresse. C’était l’anxiété d’un homme frappé