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SILENCES

raient marqué peut-être pour elle une date de salut !

Elle avait donc passé une après-midi relativement tranquille, qui s’acheva sur une soirée tranquille aussi, quoique imprégnée d’une singulière et pénétrante tristesse. Après avoir parlé à son mari avec cette ouverture entière de cœur pour la première fois depuis si longtemps, elle aurait dû, semblait-il, se sentir à l’aise vis-à-vis de lui, d’autant plus qu’il l’avait si affectueusement invitée à ne plus se taire. Elle allait éprouver que les ménages qui souffrent vraiment du mal du silence ne sont pas ceux où les époux ne savent rien l’un de l’autre. Ce sont ceux où, connaissant leurs secrets réciproques, ils n’osent pas formuler avec des mots, par crainte de se faire du mal, des réflexions qui leur sont communes. Quel contraste avec tant de veillées, passées dans cette même pièce, le cabinet d’Albert, en tête à tête, — elle, travaillant à quelque ouvrage, lui, lisant tout haut, commentant un journal, discourant sur les événements publics. Ou bien encore, c’étaient des échanges d’idées sur quelque point qui les intéressait également : l’avenir de Lucien, celui de Jeanne. À cette occasion, Darras développait à sa femme ses thèses sociales, qu’elle admettait alors sans les discuter. Elle se réjouissait d’offrir son intelligence à son mari, comme un miroir aimant et qu’il animait de sa pensée… Aujourd’hui, elle était assise sur son fauteuil habituel, au coin du feu, ayant à sa portée, sur une table mobile en forme de trèfle, la corbeille des laines et des soies qui servaient à sa tapisserie. Son aiguille montait et descendait le long du canevas