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L’IMPRÉVU

— « En effet, monsieur, » repartit le notaire. « Je me suis, sur le désir de M. de Chambault père, mon client, transporté à son domicile, et l’acte authentique constatant qu’il accorde son consentement au mariage de son fils Lucien avec Mlle Berthe Planat est dressé. Il reste une formalité à remplir. Le Code exige qu’un autre acte authentique soit dressé : celui, madame, qui constate votre refus. Réglementairement, je devrais m’être présenté ici, assisté d’un de mes collègues ou de deux témoins, muni d’un acte de réquisition, et vous le signifier. Quoique cette façon de procéder n’offre absolument rien d’injurieux, elle peut paraître pénible. Elle risque de laisser derrière elle des rancunes. J’ai cru devoir tenter une démarche préalable auprès de vous, encouragé d’ailleurs par mon client. Vous ignorez sans doute, madame, que M. de Chambault est malade, très malade. Les médecins redoutent une pneumonie greffée sur une maladie du foie. À mon sens, et je crois devoir vous parler en toute franchise, la fin est proche. Ce n’est qu’une question de semaines, peut-être de jours. Il est à bout. Quand on est si près de la mort, beaucoup de choses apparaissent sous un angle différent. La visite de son fils, la manière dont le jeune homme lui a parlé, les sentiments qu’il lui a montrés ont touché le père. Il a dit oui à sa demande. Mais il s’inquiète. Il ne voudrait pas que son consentement fût considéré par vous comme un nouveau tort. Il en a eu de très grands… Il les reconnaît… Il me semble, madame, qu’en n’opposant pas à ce consentement d’un mourant, car je vous répète qu’il est condamné, un veto d’ailleurs inutile, vous ferez un acte de charité.