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UN DIVORCE

tôt sorti de la chambre que, toute pâle et résolue, elle dit à son mari : — « Demande si la voiture est là. C’est maintenant que le temps presse, qu’il n’y a pas une minute à perdre. Il faut que j’aille chez M. de Chambault, que je le voie, que je lui explique. Lucien l’a trompé. Ce n’est pas possible qu’un père, même celui-là, veuille un pareil mariage pour son fils. Il ne sait pas la vérité… »

— « Non, » répondit Darras, « il ne la sait pas. J’en suis sûr aussi. Mais ce n’est pas à toi d’aller chez lui, c’est à moi… »

— « Toi ? » s’écria-t-elle épouvantée…

— « Oui, moi, » répondit-il. « Je ne supporterai pas que tu revoies cet homme qui t’a fait tant souffrir. Je ne te le permets pas… » Elle retrouva dans son accent ce je ne sais quoi d’impérieux et de dur qu’elle y avait remarqué ces derniers jours. — « J’ai acquis le droit », continua-t-il, par mes douze années de dévouement pour Lucien, d’aller défendre son avenir auprès de n’importe qui. Si la maladie a vraiment donné à M. de Chambault les sentiments que l’on vient de nous dire, il comprendra, par ma démarche, combien la situation est grave. Le vrai moyen de briser du coup ce mariage, le voilà. Dans une heure, il aura révoqué son consentement. Adieu, mon amie ; ne me dis rien. Attends mon retour sans te dévorer d’inquiétude. Le danger va être conjuré pour deux ans, le notaire te l’a dit. Et ce n’est pas de deux ans que j’ai besoin pour le projet dont je t’ai parlé ; c’est de deux ou trois semaines, au plus. Tu vois bien que, s’il y a une fatalité, elle est pour nous, puisque le hasard veut que nous ayons été prévenus à temps. Que ce notaire n’eût pas été l’homme scrupuleux qu’il