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L’IMPRÉVU

tage, absolument. Sa famille, ce sera moi, et lui, il sera la mienne. Nous nous suffirons. C’est le mot qu’il m’a dit quand il m’est revenu après avoir tout appris, par vous, de ce que j’avais voulu lui cacher. Je l’avais voulu pour lui encore, pour lui toujours… J’avais tort… Je n’ai su combien il m’aimait que depuis ce moment… Laissez-le faire sa vie, monsieur Darras… J’irai jusqu’au bout : vous le lui devez. Êtes-vous sûr de n’avoir pas fait la vôtre à ses dépens ?… »

Elle avait à peine achevé de prononcer ces phrases si dures pour celui qui les écoutait, qu’un incident auquel ils ne s’attendaient ni l’un ni l’autre vint apporter un commentaire d’une force singulière à ces trop justes réflexions. Chacune avait blessé dans Darras une fibre vivante, mais à chacune aussi une voix avait répondu en lui le : « C’est vrai, » par laquelle l’accusée avait commenté ce réquisitoire où elle s’était tout d’un coup posée en accusatrice. Il allait pourtant répondre, et non moins violemment que l’autre jour à son beau-fils, quand celui-ci avait, sous une autre forme, fait aussi le procès à son ménage de mari d’une divorcée. Un coup de timbre, dont la force et la brusquerie trahissaient l’impatience nerveuse de l’arrivant, arrêta les mots sur ses lèvres.

— « C’est Lucien… » dit Berthe en joignant les mains dans un geste d’angoisse qui contrastait avec sa fermeté de tout à l’heure, comme si elle n’eût plus eu son énergie lorsqu’elle n’était plus seule en jeu. « Je vous en supplie, monsieur, ne vous montrez pas… Pensez où vous êtes… »

— « C’est à lui de penser où il est, » répondit le beau-père. « Je n’ai pas à me cacher de cette