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UN DIVORCE

banale histoire d’adultère, et il l’écoutait, qui continuait sa confidence, d’une voix rendue ferme, maintenant, par la révolte contre le soupçon :

— « Non, mon Père, non. Je n’ai pas à me reprocher ce que vous croyez. Je suis une honnête femme. Si j’ai cessé de pratiquer, je n’ai pas à rougir du motif. Je n’ai pas commis une faute. J’ai été loyale, toujours. Je n’avais pas de remords d’être hors de l’Église. J’étais tranquille avec ma conscience, je vous l’ai dit : j’avais perdu la foi… Cette foi dormait. Elle est réveillée au contact de la foi de ma fille. C’est là ce qui m’amène… Comment s’est accompli ce travail ? Je ne le sais pas moi-même. Ç’a été une suite d’événements très ordinaires. Quand Jeanne a dû aller au catéchisme, je l’y ai accompagnée, dans cette petite chapelle souterraine de Saint-Sulpice, au bout de votre rue, où j’étais venue, à son âge. Toutes mes émotions d’alors, je me suis mise à les revivre dans les siennes. Je l’ai vue aussi fervente que je l’avais été, son esprit s’ouvrir aux idées religieuses, comme le mien alors, l’amour de Dieu s’emparer d’elle, comme de moi autrefois. Est-ce mon enfance qui m’est remontée au cœur ? Est-ce autre chose ? Je vous répète que je ne sais pas… J’avais recommencé d’aller à la messe, à cause de Jeanne, pour la forme… J’ai recommencé d’y prier. Cela m’a prise d’abord comme un regret. Je me suis abandonnée à ce sentiment du passé qui nous fait aimer à revoir les endroits où nous habitions jeunes, à rencontrer des parents perdus de vue, d’anciens amis. Une heure est venue, où j’ai compris que ce passé, c’était le présent. J’ai senti Dieu. J’ai senti mon âme. Oui, il y a un Dieu, et qui nous écoute.