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UN ADIEU

sentées par l’Église avait soudain remué dans son cœur. Il venait d’avoir l’évidence qu’il s’était mépris sur la gravité de la crise religieuse subie par sa femme. Il ne s’agissait pas seulement d’un effroi superstitieux produit par les événements de ces derniers jours : la querelle du beau-père et du beau-fils, et l’égarement obstiné de celui-ci. C’était vraiment la Foi qu’il avait devant lui, le phénomène moral le plus déconcertant, le plus irritant pour des esprits de la structure du sien. La lutte entre les espèces, cette inflexible loi de l’univers animal, a sa correspondance exacte dans le monde des idées. Certaines mentalités constituent de véritables espèces intellectuelles qui ne peuvent pas durer à côté les unes des autres. Se rencontrer, pour elles, c’est s’affronter, c’est se déchirer. Les convictions qui semblent les plus abstraites sont des principes vivants tout prêts à déployer contre des principes adverses une énergie destructive. Cet appétit de combat arrive bien vite à mettre en jeu toute la personne. En fait, penser d’une manière trop opposée sur quelques points essentiels, c’est toujours se haïr, s’aimât-on d’autre part aussi tendrement que Gabrielle et Albert. Celui-ci sentit se réveiller en lui cette hostilité, bien voisine d’être cruelle, qu’il avait éprouvée la semaine précédente, à la première confidence de sa femme. Il eut, cette fois encore, la force de se dompter. L’aurait-il au prochain conflit, et quand elle formulerait en termes positifs l’exigence dissimulée sous ces termes encore vagues : « parce qu’alors j’en aurai le droit ? » Il eut peur qu’elle ne se laissât entraîner jusque-là, dès aujourd’hui. Brusquement, pour éviter un pareil entretien dans cette minute où il se