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UN ADIEU

existait, — quelle parole à prononcer pour ce fils et pour elle à entendre ! — elle s’était condamnée à ne pouvoir rien répondre, si jamais il lui disait : « Tu m’as sacrifié. » Pour qu’elle fût absoute à ses propres yeux, il fallait que son enfant ne protestât jamais contre l’intrusion de l’étranger. Il faisait pis que protester. Il partait. La tragédie familiale qu’enveloppe virtuellement tout divorce arrivait à son suprême et logique épisode. Le second mariage manifestait sa radicale incompatibilité avec les débris restants du premier. Était-ce là ce qu’avait voulu la mère ? Hélas ! C’était ce qu’elle avait fait, et elle gémit :

— « Tu répètes que tu ne me juges pas, mais me dire que, chez moi, tu n’es plus chez toi, que tu es misérable auprès de moi, dans ma maison, quel jugement plus cruel peux-tu porter ?… Mais je ne l’accepte pas. C’est un horrible cauchemar. Je ne t’ai pas entendu me parler ainsi, toi, mon Lucien !… Non, je n’y crois pas… Tu es trop sensible, Albert aussi. Vous êtes tous deux des orgueilleux et des timides. Je vous connais si bien ! Vous avez laissé s’établir entre vous un affreux malentendu. Il faut que vous vous expliquiez. Il n’a jamais su ce que tu pensais, je te le jure… Tu le lui diras, comme tu me l’as dit, et il n’en restera plus rien, rien, rien… »

— « Pauvre maman ! » répondit le jeune homme. « Pourquoi nous mentir les uns aux autres ? Pourquoi reculer devant une évidence que nous avons eue tous les trois, si vive, si indiscutable, à cette même place ?… Mon beau-père ne sait pas ce que je pense ? Mais si, maman, il le sait, et tu sais, toi, qu’il le sait… Tiens, à cette minute, et pendant que nous