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UN DIVORCE
X
la prison

Ce départ du jeune homme avait, été épié par une autre personne. On devine laquelle, et si la durée de cet entretien avait paru longue à Darras. Il avait une intelligence trop nette des conséquences que cet entretien du fils et de la mère risquait d’entraîner, pour ne pas en attendre l’issue avec une anxiété exaspérée jusqu’à l’angoisse. Gabrielle allait-elle obtenir que Lucien consentît à reculer au moins son projet de mariage, et que, d’ici là, il revînt à la maison, sinon comme hôte, du moins comme visiteur ? Ou bien se rebellerait-il, au contraire ? Mettrait-il sa mère en demeure de lui répondre, par oui ou par non, tout de suite, et, devant un refus, s’en irait-il, plus séparé d’eux encore qu’auparavant ? À cette idée d’une rupture irréparable avec l’enfant du premier lit, des sentiments d’ordre bien différent s’émouvaient à la fois dans le mari de la femme divorcée : une mortelle inquiétude pour l’avenir de son propre ménage, — cette catastrophe n’achèverait-elle pas d’exalter chez Gabrielle ces troubles religieux dont leur intimité avait déjà tant souffert ? — le déchirement d’une affection blessée, — il aimait vraiment son beau-fils, il l’avait élevé, il en était si fier !… À côté de cela, il frémissait de le constater, cette rupture, c’était la suprême éviction d’un passé si détesté qu’il en éprouvait, dans les arrière-fonds troubles de son cœur, une impression