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LA PRISON

Même à vingt-cinq ans, il devra te demander ton consentement. Si cette femme a prouvé qu’elle avait des qualités d’épouse, tu leur donneras ce consentement, et nous les verrons. Si, au contraire, cette liaison aboutit à une rupture, c’est vers nous qu’il se réfugiera. Aie donc du courage, et pense plutôt que cette séparation d’avec nous était sans doute nécessaire. Oui, puisqu’il s’est laissé aller, sous des influences malsaines, à éprouver pour notre ménage une si injuste antipathie, il vaut mieux que nos rapports soient suspendus pour quelque temps. Du moins, c’est un moindre mal… Chérie, du courage, encore cette fois ! Appuie-toi sur moi ! Je t’aimerai pour deux. »

— « Tu es bon, » répondit-elle, sans quitter son attitude d’accablement, « très bon… Mais comment veux-tu que je me rende à tes raisonnements ? Tu m’en as tant fait et tous pareils, depuis ces quinze jours ! Tu m’as tant démontré que je devais espérer, ne pas craindre, que Lucien ne persévérerait pas dans son projet, — et il y a persévéré ; — qu’il n’irait pas demander le consentement de son père, — et il y est allé ; — que tu avais un moyen sûr d’empêcher ce déplorable mariage, — et c’est pire !… Pourquoi m’as-tu dit toutes ces choses et tant d’autres ? Parce que tu ne veux pas que je regarde en face la vérité et que, toi-même, tu ne veux pas la voir. Et cette vérité, c’est celle que m’a énoncée le père Euvrard. C’est Dieu qui nous frappe dans mon fils. Je dis nous, car je ne te sépare pas de moi, mon ami, mon unique ami… Nous sommes liés dans le châtiment comme nous l’avons été dans la faute. Le coup qui me perce le cœur déchire le tien. Tu me parles de courage. Aie celui d’y voir