Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
282
UN DIVORCE

d’exaltation, que nous, n’étions pas mariés, tu as pu constater ma révolte. Ce n’était pas à moi seul que je pensais en protestant contre ce blasphème, c’était à Jeanne. C’est elle encore à qui je pense en ce moment. Nous marier à l’église, maintenant, après que nous avons vécu ensemble tant d’années, mariés civilement, ce serait déclarer qu’à nos yeux le mariage civil, en effet, n’est pas un mariage, et que, par conséquent, notre enfant n’est pas légitime. Cela, avoue que tu ne le penses pas… »

— « Je ne le pense que trop, » dit la mère, « et j’en tremble de terreur pour elle. »

— « Et tu ne sens pas ce qu’il y a d’insensé, pour ne pas dire plus, dans une idée qui te fait considérer comme coupable la naissance de cette enfant, sur le berceau de laquelle nous n’avons échangé que des mots de dévouement, de fidélité, de tendresse ? »

— « Ce que je sens, parce que je le sais, parce que je le crois, c’est que nous n’avions pas le droit de l’avoir ! »

— « Je ne te permettrai pas de parler ainsi, » s’écria Darras, même dans l’égarement du chagrin… « Gabrielle, » — continua-t-il, avec une irritation grandissante et qu’il n’arrivait plus à maîtriser, — « souviens-toi de cette heure où tu m’as dit que tu espérais être mère et de l’émotion sacrée que nous en avons ressentie ! Rappelle-toi les rêves que nous avons caressés à deux, ici même, pour cette enfant ! Ce devait être une fille. Nous devions en faire notre joie et notre fierté… Rappelle-toi encore comme nous avons été tristes, quand, après sa venue, nous avons espéré celle d’un fils et notre regret que notre famille se fût arrêtée là !… Et maintenant… »