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UN DIVORCE

me contraignant de vivre avec toi dans des rapports que la religion me défend. »

— « Moi ! », s’écria-t-il, « moi, je te contrains ?… Et toi, que fais-tu donc en prétendant m’imposer une démarche que mes principes me défendent ? »

— « Ah ! protesta Gabrielle, « comment peux-tu comparer ? C’est toi-même qui les as choisis, tes principes, toi-même qui les interprètes. Que tu me sacrifies ce que tu avoues toi-même n’être pour toi qu’une question de forme, en continueras-tu moins ta vie ? Au lieu que moi, si je persiste à demeurer avec toi comme ta femme, ne l’étant pas, — car je ne la suis pas, je ne la suis pas, entends-tu, — je suis hors de l’Église !… Les sacrements me sont interdits !… Je ne peux pas avoir de vie religieuse !… Je te le répète, » continua-t-elle avec un sombre désespoir, « je ne le supporterai pas, je m’en irai. »

— « Eh bien ! » répondit Darras hors de lui, « tu t’en iras !… Mais, » — et la féroce tyrannie de l’homme exaspéré passa dans son accent, — « si tu t’en vas, sache bien les conséquences de ta révolte. Je te laisserai aller. Je ne t’enverrai pas le commissaire pour te faite rentrer. Seulement je garderai ma fille… Quand nous nous sommes mariés, nous avons conclu un pacte. Tu t’es engagée à être ma femme, et moi, je me suis engagé, si nous avions un enfant, à consentir qu’il fût baptisé et élevé catholiquement. Il te plaît aujourd’hui de dénoncer ce pacte. Soit ! Tu dis que tu n’es pas ma femme ? Tu parles de partir ? Soit encore. Mais je redeviens libre de mon engagement. Je reprends Jeanne. Elle est à moi. Le Code me la donne. Le pacte est dénoncé, donc je l’élève d’après mes idées. »