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Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/306

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UN DIVORCE

pas possible, que la fugitive allait revenir, qu’arrivée là où elle avait décidé de se retirer, elle ne supporterait certainement pas l’idée de son inquiétude. Et puis, elle n’avait pas dû partir sans lui écrire. Il se mit à errer dans l’appartement, cherchant sur toutes les tables l’enveloppe à son nom qu’elle avait assurément laissée. Une femme ne quitte pas sa maison à l’improviste, comme une criminelle, sans que son mari sache où prendre et donner des nouvelles. Mais non ! Il ne trouva rien. Vainement bouscula-t-il et tous ses papiers dans son bureau, et tous ceux de Gabrielle dans le secrétaire du petit salon… L’heure avançait, à travers ces recherches, et le maître d’hôtel était venu prévenir que le dîner était servi. La perspective de s’asseoir seul à cette table, qui avait été celle de la famille aujourd’hui dispersée, fut trop odieuse à Darras. Il répondit qu’il ne mangerait pas à la maison et il sortit pour marcher dans les rues, au hasard, comme il avait fait l’autre jour. Qu’il était tourmenté alors, mais combien loin de prévoir une catastrophe qui continuait à déconcerter sa raison !… Gabrielle s’était enfuie ?… À quelle profondeur avait-elle donc été reprise par le haïssable dogme catholique pour qu’elle se fût résolue à s’échapper ainsi, plutôt que de vivre avec lui, maintenant qu’elle était sûre que leur ménage resterait hors de l’Église. Certes il s’était laissé emporter, cette après-midi, à des paroles vives. Des menaces, même brutales, justifiaient-elles ce départ, — et avec leur fille ?… Pourquoi ? Pour le mettre au défi précisément d’exécuter la plus dure de ces menaces, celle sur l’action de laquelle il avait le plus compté. C’était comme si elle lui eût crié en serrant leur enfant