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LA PRISON

falot, apparu dans l’antichambre, s’était transformé devant elle en un apôtre, plein de flamme, d’éloquence et de dignité. Il ne se laissa pas décontenancer par la brusquerie avec laquelle l’adversaire de toutes ses idées commença ce pénible et difficile entretien :

— « J’ai trouvé votre carte chez moi, monsieur. Je suis M. Darras. Il m’est trop important de savoir quelle raison vous avez de désirer me parler pour que je n’aie pas tenu à vous voir aussitôt. Je vous écoute, »

— « Ce que j’ai à vous dire, monsieur, est en effet si important et si urgent, » répondit le prêtre, « que je m’étais permis de me présenter chez vous de grand matin… Vous avez compris, » ajouta-t-il après un temps, « que je suis chargé d’un message de Mme Darras ? »

— « Une question d’abord, monsieur, » interrompit Darras. « Avez-vous vu Mme Darras et vous a-t-elle dit de vive voix ce dont elle désire que vous m’avertissiez, ou bien vous a-t-elle écrit ? »

— « Je l’ai vue, » dit l’Oratorien.

— « Permettez-moi alors, » continua le mari, « de m’étonner que vous n’ayez pas insisté auprès d’elle pour qu’elle s’adressât à moi directement. Avec la haute idée que je me faisais de M. Euvrard, du mathématicien supérieur dont mes camarades et moi admirons le talent, j’avoue que j’avais été étonné d’apprendre votre première rencontre avec elle, déjà. Je ne suis pas un illustre savant comme vous, monsieur ; mais si une femme mariée venait s’adresser à moi, à l’insu de son mari, sur un point concernant son mariage, je l’arrêterais immédiatement. Il est vrai que je ne suis pas non plus un