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LA PRISON

déterminée, sans préméditation, à un parti violent si opposé à son caractère. Sa raison a compris tout de suite qu’elle ne devait pas s’y tenir. Le choix de l’endroit où elle s’est retirée vous le prouvera, monsieur : même à ce moment, elle a pensé à vous et à sa fille. Elle a voulu pouvoir donner un motif plausible de ce départ à l’enfant, à la gouvernante, à la femme de chambre. Elle est à Versailles, à l’hôtel ***. — (Il le nomma.) — Elle a prétexté un avis du médecin et annoncé que vous alliez les rejoindre… Quand elle a été là, seule vis-à-vis de son action, elle s’est rendu compte qu’en s’enfuyant comme elle avait fait, impulsivement, elle avait seulement fourni une arme contre elle. Et, surtout, l’idée de votre chagrin l’a désespérée. Elle a pensé à revenir, comme elle était partie. Ses craintes pour l’avenir de l’éducation religieuse de sa fille l’ont ressaisie alors et l’ont arrêtée… Malheureuse, tantôt attendant une manifestation de votre colère, d’heure en heure, et que son enfant lui fût reprise par autorité de justice, tantôt espérant dans votre tendresse et que vous lui accorderiez ce qu’elle désire si passionnément, quelles heures elle a traversées, vous le devinez ! Elle s’était dit en partant : « Ma fille est à moi, je la défendrai. » Elle a pensé à aller chez un avocat. Elle n’en a pas eu la force. De raconter à qui que ce fût cette douloureuse histoire lui a été trop pénible… Elle m’en avait dit déjà une partie. Elle avait senti, dans cette visite, l’émotion de ma sympathie. Elle savait que vous connaissiez mon nom et mes travaux. Elle vous avait dit qu’elle était venue ici, une fois… Bref, dans cette agonie d’inquiétude, c’est à moi qu’elle a eu recours. Hier, dans l’après-midi, elle