Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
UN DIVORCE

exemple, à quel moment précis s’étaient formés ces doutes, qualifiés par elle d’imaginatifs, sur la bonne entente de son mari et de son fils, pas plus qu’elle ne savait la date exacte où les croyances de sa jeunesse lui étaient revenues à la chaleur de la piété de sa fille. Trop de détails de son existence intime étaient résumés et ramassés dans ces quelques idées. Elle s’y était absorbée au point de ne plus savoir exactement où elle était. Elle s’était promenée dans le jardin sans presque s’en rendre compte. Elle en sortit de même, et, de se retrouver rue du Luxembourg, devant sa porte, lui fut presque un étonnement, comme le réveil libérateur d’un rêve pénible. Cette maison, n’était-ce pas les longues années de son bonheur rendues présentes et dressées devant elle ? Albert Darras avait fait construire ce petit hôtel à l’époque même de leur mariage et sur des plans arrêtés en commun. Dans leur passionné désir, lui, de tout effacer du passé de la jeune femme, elle, d’assurer à son second foyer un caractère plus définitif encore, ils avaient voulu une demeure qui n’eût appartenu qu’à eux, et d’où ils ne s’en iraient qu’à leur mort. Ils avaient choisi un quartier éloigné de celui des Champs-Elysées où elle avait logé précédemment. Gabrielle le comprenait trop bien : sa vie nouvelle comportait une rupture absolue avec son ancien milieu, et elle caressait l’idée d’une retraite, dont son mait d’ailleurs n’avait pas voulu. Le petit boursier de l’École Polytechnique qui n’avait pas osé demander la main de Mlle Nouet, — c’était le nom de jeune fille de Mme Darras, — occupait maintenant une place d’ingénieur-conseil dans une des banques les plus importantes de Paris, le Grand-Comptoir,