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UN DIVORCE

coexiste avec une candeur, naïve jusqu’à la badauderie. Ces jeunes gens sont incertains et dogmatiques, nihilistes et sectaires, d’un irréalisme égal à leur instruction qui est grande, violemment destructeurs et non moins violemment millénaires. Éperdus de nouveautés, leur énergie se dépense à se tracer entre eux, en s’échauffant les uns les autres, des programmes qu’ils prennent pour des actes, et où il n’est jamais question que de refaire, — refaire le pays, refaire la société, refaire l’humanité. Cette fièvre de réforme les voue par avance — ironie dont leur subtilité ne les avertit pas — à la duperie des utopies les plus vieilles et les plus décidément condamnées par l’histoire. Une des caractéristiques de cette jeunesse est le constant appel à la conscience ; mais l’exécrable discipline kantienne, dont ses aînés l’ont pénétrée, lui fait interpréter cette formule de la manière la plus étroite et la plus stérile. Sous le prétexte d’appliquer le fameux et funeste précepte : « Agis toujours de telle sorte que tes actions puissent servir de règle universelle, » ces jeunes gens s’habituent à l’idolâtrie béate de leur sens propre. Ils donnent une solennité de principes à des points de vue tout personnels, et ils arrivent à un fanatisme anarchique, si l’on peut dire, dont l’égoïsme étroit contraste singulièrement avec leurs parties de haute culture. Ils ont cependant une vertu qu’il n’est qu’équitable de signaler. Leur doctrinarisme d’une si pédantesque intolérance les rend souvent très scrupuleux pour ce qui regarde les choses de l’amour. Il y a du janséniste et du puritain en eux. C’est là une disposition d’âme qui se retrouvait déjà — on l’aura vu par la conversation de Darras avec sa femme — chez leurs