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Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/105

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l’immensité pour arène ! Un tournoi qui, après une heure écoulée, eût pu se changer en combat naval !

Aussi pour en revenir à la Grenouille, qui est un des faits majeurs de notre récit, elle s’était tirée dès le matin mollement et par manière d’acquit. On n’avait cassé qu’une paire de bras sur le pont du Couesnon ; de méchants bras qui s’étaient disloqués sans gloire et au premier tirage des bras de beurre, suivant l’expression favorite de Marcou. Le règne de la Grenouille était passé ; il faut n’avoir rien de mieux à faire pour se divertir à ce jeu de la Grenouille ! À bas la Grenouille !

Et vite ! démolissez les baraques ! chargez les planches vermoulues sur les chariots de misère. Il s’agit bien de Rollon Tête d’Âne et de l’enlèvement des Sabines ! À peine donne-t-on un regard au tas de cendres qui marque le tombeau du père Rémy. Toutes ces choses sont d’hier ; elles ont cent ans. Les joutes ! la grève ! les armures damasquinées ! les manteaux fourrés d’hermine ! les colliers d’or ! les dames ! les chevaliers !

Il fallait voir la foule descendre des deux côtés du Couesnon par groupes échelonnés et pressés, les paysans et les bourgeois en caravane, le plus grand nombre à pied, quelques-uns juchés deux à deux et même trois par trois sur des chevaux de labour ; ici toute une métairie dans une charrette ; là, sur un petit âne, un grand coquin de pataud dont les sabots ferrés touchent terre, des fillettes portées à la guerdindelle entre deux coqs de village (la guerdindelle se nomme en d’autres pays la selle au roi) ; plus loin, de lourds garçons, voûtant leurs épaules trapues et marchant bras dessus bras dessous en chantant la ronde des Allants ; partout, des ménagères attelées au panier de provisions, partout des enfants joufflus à cheval sur le cou de leur père.

Mathurin Sans Dents et Goton, sa femme, étaient ce matin en belle humeur. Goton avait un mouchoir autour de la joue pour un maître coup de poing que son Mathurin lui avait conflé la veille au soir. C’était un gage de réconciliation, ils cheminaient cahin-caha, riant et se gourmant de bonne amitié comme au temps de leur lune de miel. Jouanne, la petite