Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/28

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tueux tabernacle où le comte Otto Beringhem avait donné festin, se taisaient. Il eût fallu passer tout près de l’une d’elles, pour entendre le pas des sentinelles qui veillaient alentour.

Un homme rôdait cependant sur la rive bretonne, non loin de la baraque en cendres du pauvre père Rémy. Cet homme était un vieillard et portait le costume monacal.

— Dix heures et puis une, disait-il en cheminant avec peine, cela fait onze, maintenant comme autrefois. Et il y a longtemps que je ne m’étais vu hors de mon lit à pareille heure !

— Quand tu répéteras cela vingt fois ! se répondit-il à lui-même en haussant les épaules.

— Ne te fâche pas, ne te fâche pas, je ne le répéterai plus !

Frère Bruno s’arrêta tout en face de la cabane incendiée et baissa la voix pour dire en soupirant

— Ah ! quel caractère !

Le fait est qu’il n’y avait plus moyen de discuter : au moindre mot il s’emportait !

Frère Bruno resta un instant appuyé sur son bâton. Il regardait d’un air triste le petit tas de cendres et de charbons presque éteints.

— Au mois d’août de l’an soixante-neuf, murmura-t-il en secouant sa tête sur laquelle il avait ramené son froc prudemment, à cause de l’humidité de la nuit, le pauvre nain Fier-à-Bras, surnommé l’Araignoire parce qu’il avait les cheveux hérissés, mourut brûlé à l’assemblée de Pontorson avec le père Rémy, du bourg de Tinténiac, et un homme de Jersey, qui avait six pieds de haut. Ce fut l’Ogre maudit qui mit le feu à leur baraque, car ils étaient dans une baraque où ils jouaient des farces et soties, ce qui ne doit point être une préparation bonne pour paraître devant Dieu. Le nain Fier-à-Bras s’appelait, de son vrai nom, Perrin Boireau ; il était page pour rire, bouffon ou fou de messire de Coëtquen, seigneur de Combourg. Il avait plus d’esprit qu’il n’était gros et mangeait volontiers des tourtes du village d’Ardevon, lesquelles sont en vérité tendres et bien faites.