Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/36

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étiez comme les deux doigts dans la main avec Guy Legriel, premier sergent des archers de la communauté.

— J’ai dit la vérité.

— Par vous et par lui, continua Jeannin, pourriez-vous faire qu’une demi-douzaine de bons compagnons comme moi eût entrée dans l’enceinte du couvent ?

— Tu n’as pas besoin de moi pour entrer, petit Jeannin ; la porte est tous les jours ouverte.

— Les bons compagnons dont je vous parle, répliqua Jeannin en baissant la voix, seraient armés…

— Voire ! interrompit Bruno, veux-tu me faire finir mes jours dans l’in-pace ? Des gens armés au couvent ! Benedicamus Domino ! Legriel n’y peut rien, le bon camarade qui est à jeun chaque matin jusqu’à l’heure de sa première tasse. Qui accuserait-on ? le tourier. Connais-tu les cachots, petit Jeannin ? Celui où messire Aubry, le père de ton jeune seigneur, fut enfermé vers l’an cinquante, est libre et vacant. Six pieds cubiques taillés au vif du roc ! On a de quoi se retourner, j’espère ! Nenni, nenni, mon homme ! tu en as assez dit : jete dispense du reste !

— S’il vous plaisait m’écouter… insista Jeannin.

— Point, point, cela ne me plaît pas. On m’a promis un lit pour cette nuit dans la tente du gruyer juré, qui est dressée là-bas au nord de la rivière. J’y devrais être déjà. Bonsoir, petit Jeannin !

Le brave écuyer ne répondit pas. Il s’assit sur le parapet du pont et mit sa tête entre ses mains. Frère Bruno descendit jusqu’à la berge et se prit à cheminer au bord de l’eau, le long des buissons de saules blancs et d’aunes. En cheminant, vous pensez bien qu’il causait avec lui-même.

— Peur ? se disait-il, de quoi aurais-tu peur ?

— Qui te parle d’avoir peur ?

— Je te sens, parbleu, mon cousin ! Tu tremblotes comme un vieux chat !

— Devisons d’autre chose. As-tu vu ce Jeannin ! Le roi ! le duc ! Que me fait le duc ? Je suis sujet du roi, et je suis