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Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/51

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était plus grande qu’une de nos chambres à coucher modernes, un petit miroir de Venise, biseauté en dedans du cadre et chargé d’ornements lourds, s’inclinait pour présenter sa face polie aux hôtes de ce réduit. S’il eût été perpendiculaire au sol, sa glace n’eût reflété que les dieux roides et nus de la tapisserie.

Bien qu’on fût au cœur de l’été, un feu de souches brûlait dans l’âtre et combattait un peu la mortelle tristesse qui s’exhalait de ces vieilles murailles habillées de laine humide. Dame Josèphe de la Croix-Mauduit eût été là parfaitement logée avec son antique suivante, son faucon sénile et ses roquets décrépits. C’était vraiment une chambre de dignité première, sentant comme il faut le renfermé, froide, fière, revêche, où le moindre éclat de rire eût étonné l’écho, vierge de toute gaieté. Mais dame Josèphe, avec sa suite (sauf l’écuyer octogénaire) habitait le réduit voisin. On avait mis dans cette pièce en deuil nos deux jeunes filles, Berthe et Jeannine.

La lampe, placée sur un guéridon bruni par le temps, épandait en vain ses lueurs. Partout les rayons se noyaient. Les moulures du plafond disparaissaient dans la nuit. Les personnages mythologiques se perdaient dans le feuillage noir, et seuls, derrière les rideaux, les petits carreaux entourés de plomb renvoyaient çà et là quelques étincelles capricieuses.

Le bois vert gémissait, le lambris craquait, le vent jouait avec le tuyau de la cheminée comme si c’eût été une flûte gigantesque ne possédant qu’une note qui était une plainte. Au dehors l’averse fouettait contre les châssis, et quand le vent se taisait à de rares intervalles, le cri perçant des grillons ressortait sur le fracas sourd et lointain de la mer.

Berthe était assise dans un fauteuil au coin du foyer ; Jeannine se tenait sur un tabouret à ses pieds. Elles étaient toutes deux pâles, mais leurs pâleurs ne se ressemblaient point. Pâleur de fièvre pour Berthe, pâleur tachée de marques rouges ; pour Jeannine, pâleur de lente souffrance.

Il était tard. C’était l’heure où Jeannin, le bon écuyer, et son ami Fier-à-Bras cherchaient un abri sous le pont de Coues-