Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/56

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Jeannine, effrayée, mais docile, descendit les marches de l’estrade.

— Que fais-tu là ? s’écria Berthe en la voyant agenouillée au pied de l’autre lit. Pries-tu pour moi ?

— Je prie pour vous, chère demoiselle, répliqua doucement Jeannine.

Berthe se mit sur son séant avec impétuosité.

— Pourquoi pries-tu pour moi ? s’écria-t-elle. Est-ce que je fais déjà pitié ?

— Chère demoiselle, dit la fillette en relevant la couverture du second lit, ne parlez pas ainsi ; vous avez tout ce qu’il faut pour faire envie.

— Envie ! répéta Berthe amèrement.

Elle reprit avec la voix des fiévreux :

— Cette lampe me blesse la vue, mais ne l’éteins pas, ma fille, oh ne l’éteins pas ! Qui sait ce que nous verrions dans les ténèbres ! Jeannine, ma compagne d’enfance, Jeannine, je comptais sur toi ! Ce matin, j’ai bien vu que tu n’étais plus mon amie. Il y a une raison pour cela, car tu as bon cœur. Mais, ce matin, l’ermite ne t’avait pas encore appelée noble dame. Étais-tu déjà ambitieuse avant cela ? ambitieuse, ma fille oh va, moi qui suis au-dessus de toi, selon le monde, je te céderais ma place avec joie.

Jeannine se taisait respectueuse et triste.

— Écoute, reprit mademoiselle de Maurever accoudée sur son lit, si j’étais la fille de Jeannin l’écuyer, mon père m’aimerait. Mon père, messire Morin de Maurever fut trompé dans son espoir au jour de ma naissance. Il attendait un fils, héritier du nom ; sa femme, ma pauvre mère adorée, ne lui donna qu’une fille. En venant au monde j’ai condamné le nom de mes aïeux, car messire Hue, le frère aîné de mon père, n’eut qu’une fille, qui est madame Reine, et dom Eustache, le cadet, est de religion. Mon père rejeta les langes sur mon berceau ; il délaissa ma mère et ne m’a jamais aimée. Madame Reine me recueillit au Roz et m’éleva. Te souviens-tu ? nous jouions ensemble tous les trois, Aubry, toi et moi, sur la grande pelouse