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LA PEUR DES BOSSES

Peyrolles n’alla pas plus loin.

Cette montre hétéroclite lui indiquait assez qu’il était parvenu à l’usurious bargain du Jews’ ward.

En le voyant, le petit bonhomme de juif obséquieux, qui tenait boutique de tout et d’autre chose encore en ce logis, se leva du fauteuil vermoulu dans lequel il était blotti comme une araignée qui a tendu sa toile et qui attend sa proie.

Il roula jusqu’aux pieds de l’intendant, ployé en deux, le crâne chauve découvert. Et dans la salive de sa bouche édentée, il zézaya ses offres de service :

— Que faut-il à monseigneur ? Des pourpoints, des costumes de bal, des armes de prix, ou bien des bijoux d’or et d’argent ?… Tout est neuf, presque neuf, excepté ce qui est antique : tout est propre, luisant, et à bon prix, un très bon prix… presque rien. C’est ici que vient Sa Majesté que Jéhovah nous conserve ! quand elle désire quelque chose de rare, et aussi les nobles lords, les ambassadeurs… Votre Seigneurie le sait bien… c’est pourquoi elle me fait l’honneur…

— Voudrais-tu me faire celui de te taire ? riposta Peyrolles avec une grande envie de donner de son bâton dans le dos de l’insouciant et faux personnage, dont le verbiage l’énervait.

Toutefois, il réfléchit que les coups de bâton pourraient bien élever le chiffre des acquisitions qu’il allait faire ; tout ayant une valeur marchande pour un brocanteur juif, même les coups de canne.

— Pas tant de phrases, s’il te plaît, reprit l’intendant, d’autant plus que tu te méprends absolument sur ma qualité. Il ne me faut que quelques costumes pour des acteurs de ma troupe et peut-être pourrai-je trouver ce qu’il me faut chez toi.

À malin, malin et demi. Le factotum croyait du moins qu’il en serait ainsi, mais il avait compté sans son hôte.

L’Israélite n’avait pas eu à regarder deux fois son interlocuteur pour savoir à qui il avait à faire, et il ne lui en voulut point de lui mentir : c’était de bonne guerre. Bien au contraire, cela lui donnait ses coudées franches pour duper ce singulier client ; si, l’instant d’avant, il n’avait que fort peu de scrupules, ceux-ci venaient de se dissiper sans difficulté.

Le factotum de Gonzague examinait les différentes défroques pendues à l’intérieur.

— As-tu deux costumes de pèlerins ? demanda-t-il…

— Si j’en ai ?… par Moïse ! Voyez plutôt !

Et exhibant une soutanelle misérablement élimée, le juif reprit :

— Ce dévot costume fut porté par milord de Buckingham, lequel le rapporta de France après un pèlerinage où il s’était rendu…

— Buckingham en pèlerinage !… À d’autres, ton histoire…

— Elle est vraie pourtant, je vous le jure, c’était après la fameuse affaire des ferrets de la reine…

— Assez… interrompit Peyrolles, je n’ai que faire de tes impudents mensonges. Il me faut deux robes de pèlerins, mais je n’achète pas ce qu’il y a eu dedans. Peu m’importe que ce soit Buckingham ou d’autres, et ceux à qui elles sont destinées s’en soucient encore moins. Combien ces défroques ?…

Si le fripier renonça à en discuter l’authenticité, il n’en fut pas de même pour