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LA GRANGE-BATELIÈRE

— Vivadiou ! prétendait le Gascon, cette colichemarde est de bon augure, mon mignon, et le vin, ici, doit-être agréable. Je présume que c’est le rendez-vous des gens d’épée qui se veulent payer l’air de la campagne et nous n’y rencontrerons pas, comme chez Gradot, au quai de l’École, de ces bélîtres de gens de plume, qui se viennent sottement mêler aux maîtres ès armes et estoc.

Par contre, Passepoil, qui regardait de l’autre côté, avait entrevu des jupes et leur compagnie lui semblait beaucoup plus agréable que celle de tous les spadassins de France et de Navarre.

— Halte-là, dit-il, viens plutôt par ici. Si nous avons un écu blanc à dépenser, mieux vaut qu’il tombe dans la main d’une jolie fille que dans l’escarcelle d’un bandit.

Oh ! certes, ce doux Normand était de tout cœur pour la vertu.

— Toujours le sexe, mon pauvre Amable.

— Que t’importe ? pourvu qu’on te serve à boire.

— Pécaïre, tu as raison ; et pour si peu que je sois inflammable, je suis d’avis qu’il y a des jours où la société des dames ne saurait me déplaire. Boutons donc là-dedans, ma caillou, et voyons si Bacchus et Vénus ils sont toujours amis.

Il n’était guère que quatre heures de relevée et, pour le moment, le nid était à peu près vide, les commensaux habituels étant à leurs affaires, ou plutôt aux affaires des autres.

La Paillarde accueillit les nouveaux venus avec son plus alléchant sourire. Elle les traita d’emblée de gentilshommes. Il en fallait moins que cela pour que Passepoil lui accordât le plus haut mérite, et il avait parfaitement raison, si tant est que le mérite réside dans l’abondance des appas et dans les œillades encourageantes.

— Messieurs les gentilshommes, leur dit donc l’hôtelière, qu’allons-nous vous servir ? Vous trouverez ici tout ce qui fait le plaisir des lèvres, et bien d’autres choses encore… Vous faut-il de la bière ou du vin, des œufs mollets, du pâté de venaison ou bien un chapon cuit à point ?

— Cornebiou ! nous voulons d’abord du jus de la treille, s’écria Cocardasse. De ce pas, mon petit prévôt et moi, nous venons de Montmartre en Parisis et c’est si haut perché que j’en ai le gosier plus sec qu’une peau de bouc.

— Cela se trouve à merveille, messeigneurs ; voici justement du vin d’une vigne des Chartreux de Vauvert que nous tenons en bail et cens ; peut-être n’en est-il pas d’aussi bon et chaud dans Paris. Goûtez-y et, sitôt ces deux brocs vidés, on vous en montera d’autres.

Le fameux vin de Vauvert râpait fortement le palais ; c’était tout juste si, pour l’avaler, il ne fallait pas se tenir à la table. Mais le gosier de Cocardasse ne s’arrêtait pas à ce détail, et quant à Passepoil, il s’occupait de tout autre chose que du cru qu’on lui servait.

Les bras nus, les hanches rebondies et les grasses poitrines qui circulaient autour de lui, le frôlant sans cesse, mettaient sa tête à mal bien autrement que la bouteille. Si quelque chose l’offusquait, c’était de ne pouvoir, — et pour cause, — rencontrer les yeux de la Paillarde, qui ne le regardait pas sans regarder en même temps Cocardasse.

Toute femme est déjà un être énigmatique. Quand elle louche, il n’est plus possible de savoir ce qu’elle veut ni ce qu’elle pense.

Certes, elle était bien séduisante quand elle vint s’asseoir entre les deux pré-