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Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/16

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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Tous deux se sentaient retenus par le point d’honneur de l’homme d’armes auquel on a confié un poste à garder, et tous deux cherchaient un biais pour tourner leur devoir, car ils brûlaient de se retrouver à la courtille Coquenard, l’un pour boire, l’autre pour d’autres raisons.

Le premier reprit en se donnant un grand coup de poing au front :

— Lou couquin de Chaverny va nous envoyer paître…

— Il nous défendra de sortir…

— Il faut trouver un joint, ma caillou.

— Trouve-le, Cocardasse.

— Je n’en vois qu’un… et je crois bien qu’il est mauvais…

— Dis-le, insinua le Normand ; à nous deux, ventre de biche ! peut-être le trouverons-nous bon !

Cocardasse ne soupçonna même pas que son compère pouvait railler et s’expliqua :

— Si nous escaladions les murs, quand tout le monde dormira ?

— Laho veille toute la nuit ; sans compter que les portes de la ville seraient fermées et que nous arriverions trop tard… Cherche autre chose, Cocardasse.

— Cherche à ton tour, mon bon !

Ils n’eussent pas été plus soucieux s’il eût été question d’assassiner le Régent.

— Nous ne pouvons pas dire au marquis que nous voulons aller à la courtille Coquenard…

— Es-tu fou, ma caillou ?… Mieux vaudrait lui demander d’aller chanter matines aux Cordeliers…

— Alors ?…

— Alors… Sandiéou ! disons-lui que nous allons au théâtre.

— Bien trouvé, mon noble ami… Mais s’il nous demande demain ce que nous avons vu ?

— Ta tête elle se perd, caramba ! Autrefois, péquiou, tu n’aurais pas été au bout de ton rouleau pour si peu… Eh donc, nous dirons que toutes les places étaient prises.

— Tu es un grand homme, Cocardasse.

— On me l’a toujours dit, Amable… Allons-y…

Ils se mirent incontinent à la recherche du marquis, persuadés que leur cause était gagnée d’avance. Mais dès qu’ils l’eurent trouvé, ce fut à qui ne parlerait pas. Chacun d’eux tournait son chapeau entre ses doigts et poussait son voisin de l’épaule.

Chaverny se mit à rire et leur demanda :

— Eh bien ?… quelle nouvelle avez-vous donc à m’apprendre ?

Le Normand se hasarda :

— C’est une nouvelle qui n’est pas une nouvelle, bégaya-t-il ; nous voudrions aller à l’Opéra…

Cette fois le marquis éclata de rire :

— Vous à l’Opéra… Et quand ?…

— Ce soir… Le marquis sembla réfléchir à l’instant, puis il dit :

— Votre jour est mal choisi, mes amis ; on ne joue pas à l’Opéra ce soir.

Les prévôts se regardèrent avec consternation ; le plan qu’ils avaient si