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COCARDASSE ET PASSEPOIL

pour les rois des dentelles d’Angleterre, de Flandre, d’Hollande et d’Allemagne, d’or et d’argent ; des armes, des esprons de Saint-Claude, des miroirs et des marchandises de la Chine ; pour les jolies femmes coquettes ou gourmandes des affiquets, de la passementerie, des indiennes, de la soye, des oranges de Portugal, des confitures, des gasteaux et du pain d’espisses ;pour les érudits des parchemins, du chien de Bologne, des calottes et du marroquin ; pour les amateurs d’art des tableaux à la détrempe et à l’huile et des gravures en taille douce ; pour les bourgeois des bimbeloteries, de la toille, des lunettes, de la double bière et de la vaisselle d’étain ; pour les manants de la fustaine, des bas de laine, de la chandele et des couvertes de lits.

À côté du change pour le roy se tenaient les horlogeurs ; près des chirurgiens, les barbiers ; les lanterniers coudoyaient les graveurs et les sculpteurs frayaient avec les chauderonniers.

On n’en finirait pas s’il fallait décrire tout au long les catégories d’hétéroclites de marchandises offertes à la curiosité et à la tentation des passants pendant trois ou quatre semaines que durait la foire.

Mais il va sans dire que là où se réunissaient journellement gentilshommes et grandes dames, membres du Parlement et bourgeoises, officiers et demoiselles, on ne pouvait réserver toute la place au mercantilisme, au détriment complet du plaisir.

Les vilains n’en avaient cure, du moins de celui qui coûtait cher. Toutefois il n’en était pas ainsi des autres et bientôt ne tardèrent pas s’établir à la foire des cafés et des cabarets, des maisons de jeu et des spectacles forains. Certains acteurs de l’époque se rendirent plus célèbres en jouant des drôleries à la foire Saint-Germain que s’ils eussent paru sur la scène de l’Opéra et le répertoire des saynètes et facéties qui y furent représentées fait encore les délices des bibliophiles de nos jours.

Sous la Régence et sous Louis XV, tout cela ne suffisait pas encore : il y fallait un marché de courtisanes et ce n’était pas le moins bien achalandé. Les seigneurs venaient s’y pourvoir pour une semaine ; les cadets pour un jour ; les escholiers et les manants pour une heure.

Les religieux de Saint-Germain-des-Prés avaient béni la foire à son ouverture ; quand elle se terminait, ils n’avaient plus qu’à absoudre.

Au beau temps où Gonzague était l’ami du Régent, ils y venaient fort souvent ensemble, accompagnés de tous leurs roués. C’était le moment, pour ceux qui avaient de jolies femmes ou de jolies filles, de leur faire prendre immédiatement l’une des portes.

À vrai dire, il en restait assez qui ne songeaient point à s’en aller et le cardinal Dubois se chargeait de leur faire des avances, pour son maître et pour lui. Mais il avait beau faire, quand il avait choisi pour le Régent le dessus du panier, il arrivait fort souvent que Chaverny ou quelque autre enlevât au prélat ce qu’il s’était réservé. Philippe d’Orléans en riait ; Dubois se pinçait les lèvres et se contentait du déchet. Il s’en contenta si bien qu’il en mourut.

Cette année-là, lorsque le lieutenant de police, assisté des officiers du Châtelet, des syndics de la foire et des gardes-marchands, vint crier à haute voix devant une foule joyeuse, entre deux fanfares retentissantes : « Messieurs, ouvrez vos loges ! » le Régent n’était pas là pour consacrer de sa présence la solennité de l’ouverture, ce qui n’empêchait pas Philippe de Mantoue d’y être, suivi de son fidèle Peyrolles.