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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

Devant son impensabilité elle reprit très bas, mais d’une voix sourde et énergique :

— Dans le chaton de cette bague, il y a une goutte de poison et ce poison posé sur les lèvres d’une femme suffirait à la tuer… Est-ce vrai ?

Gonzague se souvint enfin que Liane était le seul être humain auquel il eût révélé ce secret, et il répondit lentement :

— C’est vrai !

La petite baronne l’enveloppa d’un regard passionné en murmurant :

— Je suis à toi ! je n’ai jamais été qu’à toi ! et si tu me destinais ce poison, Philippe, je te dirais quand même : Je t’aime !

Le prince s’inclina, jugeant que l’épreuve avait assez duré.

Il avait besoin de cette femme, elle se livrait pieds et poings liés, et le cœur avec. De celui-ci il se souciait peu ; il ne lui fallait qu’un instrument pour sa vengeance ; il le possédait, quitte à le briser plus tard.

La petite baronne avait peut-être vu l’avenir, songeant que le poison serait pour elle !

Il demanda très grave :

— Es-tu prête à m’obéir ?

— Jusqu’à la mort !

— Alors, viens ! dit-il en se levant.

Ils quittèrent le cabaret, Peyrolles les suivant ; mais en route Gonzague faisant glisser ses bagues au fond d’une de ses poches, se jura de n’en plus porter, puisqu’une seule avait suffi à le faire reconnaître.


III

DERNIER DÉFI


Un mois s’est écoulé depuis la rencontre de Mme  de Longpré et de Gonzague, et si ce dernier a commencé la bataille en faisant mettre le feu à la foire Saint-Germain à l’heure où il savait Lagardère et Aurore dans son enceinte, la catastrophe n’a pas tourné à son profit.

En effet, c’est sous les décombres de la foire incendiée, au milieu des cadavres sans nombre qui servaient de muets témoins à cet épouvantable sinistre que, dans la cave voûtée de la loge attribuée aux arquebusiers, avaient été retrouvés réunis et tous sains et saufs Lagardère, ses prévôts et les deux femmes pour lesquelles il travaillait depuis si longtemps.

À l’aurore de la royauté de Louis XV, Philippe d’Orléans, se rendant au petit lever de l’enfant devenu son maître par suite de sa majorité, avait émerveillé le jeune souverain en lui contant la fabuleuse odyssée du comte de Lagardère.

Il lui avait demandé la permission de laisser la justice du comte s’exercer contre le misérable dont l’audacieuse vengeance avait porté le deuil dans toute la France.