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COCARDASSE ET PASSEPOIL

douté que si son fidèle factotum s’attachait toujours avec tant d’énergie à ses pas, c’est qu’il comptait bien profiter de sa mort et piller pour son compte l’hôtel de Gonzague, lorsque l’épée de Lagardère aurait fait justice.

Car il faut bien le dire, l’intendant ne doutait pas de la victoire finale du comte, mais, le moment venu, il espérait bien lui-même faire faux bond.

Philippe de Mantoue escalada le mur du cimetière, se glissa le long des fourrés, franchit avec une telle agilité les endroits découverts que cette fois pourtant Peyrolles n’osa plus le suivre et se blottit entre le mur et un buisson d’arbustes.

Les roués, de leur observatoire, suivaient anxieusement les mouvements du prince, prêts à tout, car cette folle entreprise allait à coup sûr provoquer une tragédie sanglante.

Ils frissonnèrent quand Gonzague contourna l’église et qu’ils ne le virent plus.

Les minutes pendant lesquelles il disparut à leurs yeux leur parurent longues comme des siècles ; elles furent plus longues encore pour l’intendant dont les dents claquaient.

Philippe de Mantoue repassa auprès de lui sans le voir, tant il s’était fait petit pour se cacher ; son maître d’ailleurs ne songeait plus à lui et quand il eut regagné la porte de sa maison, il faillit la lui fermer au nez. Peyrolles réussit à se glisser, eut encore la force de pousser le verrou derrière lui et s’assit sur le sol, pâle comme un cadavre.

Gonzague alors se dissimula derrière les branches, remit son épée au fourreau et attendit. Il ne tremblait pas, lui, ses lèvres étaient plissées par l’ironie, non par la peur.

Aurore reparut sur le seuil aux côtés de sa mère. Toutes deux semblaient réconfortées par la prière. Elles descendirent lentement les degrés, suivies de tous les leurs. Philippe de Mantoue les vit défiler devant lui, muets et recueillis, pour se diriger à petits pas vers le tombeau de Philippe de Nevers, sa victime à lui.

Peu s’en fallut qu’un ricanement ne s’échappât de ses lèvres, mais il se contint et, par un mouvement involontaire, il porta la main à la garde de son épée. D’instinct, quand il apercevait son adversaire, il pensait à se défendre.

Encore une fois, il n’osa pas, ou ne voulut pas ; sa main retomba au long de son corps. Son visage même redevint impassible dès que le dernier de ses adversaires eut disparu derrière l’église, comme lui-même l’avait fait tout à l’heure ; mais pour quelqu’un qui savait lire sur ses traits, il était visible qu’au dedans de lui-même il savourait une joie féroce.

Lagardère avait offert son bras à la mère d’Aurore, prévoyant le choc qu’elle allait ressentir au cœur devant le tombeau de son mari.

L’image de Philippe de Lorraine-Elbeuf, duc de Nevers, cuirassée et les mains jointes, un lion couché aux pieds, dormait de son éternel sommeil de pierre, attendant qu’on vînt lui dire : « Ta mort est vengée !… » Ceux qui l’avaient connu vivant s’inclinèrent en l’apercevant.

Sa veuve s’agenouilla sur le sol, baisa les degrés de marbre et Aurore se prosterna auprès d’elle.

Lagardère chercha des yeux le visage de la statue pour y retrouver les traits de son ami. Soudain sa main se crispa sur le bras de Chaverny.