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COCARDASSE ET PASSEPOIL

lamenter, jurant bien de ne jamais revenir à la Grange-Batelière si elles parvenaient à s’en échapper ce soir.

Elles n’avaient pas d’armes. Eussent-elles su seulement s’en servir ?

L’un des cochers, à n’en pas douter, était incapable de les défendre ; l’autre de physionomie peu énergique, songerait d’abord à son propre salut et lancerait peut-être ses chevaux au hasard, quitte à aller s’abîmer dans quelque fondrière ou même dans l’égout ? Elles n’avaient donc que trop de raisons d’être inquiètes.

Les événements ne devaient pas tarder à justifier leurs craintes.

Un coup de sifflet prolongé et deux fois répété vint les glacer d’effroi, en même temps qu’une douzaine d’hommes sautaient à la bride des chevaux ou apparaissaient aux portières des carrosses.

— Vos bourses d’abord, les jeunesses, dit l’un d’eux, et nous verrons après.

— Biches de gentilshommes, fit un autre avec un rire narquois qui leur donna la chair de poule. Tudieu !… elles ont la peau fine…

— Ce qui ne les empêchera pas, ajouta un troisième, de coucher cette nuit ailleurs que dans un lit de dentelles.

Cidalise entr’ouvrit un œil :

— Quel vacarme, grommela-t-elle. Voulez-vous bien me laisser dormir !

Elle avait du courage à sa manière, cette grosse fille. Aucune n’avait la force d’appeler à l’aide, tant elles avaient la gorge serrée par la peur et la Nivelle seule parvint à pousser un cri :

— Au secours !… On attaque des femmes !

Une large main s’abattit sur sa bouche ; elle fut renversée sur les coussins et bâillonnée avec ses jupes en un tour de main. Les bandits alors commencèrent à fouiller les poches et les corsages, s’attardant à des frôlements qui n’avaient qu’une parenté fort éloignée avec ceux que connaissaient ces demoiselles.

La joie des vainqueurs fut de courte durée.

La lune venait de trouer le brouillard de sa clarté très pâle, mais suffisante pour qu’on pût distinguer ce qui se passait et deux ou trois hurlements de stupeur ou d’agonie s’élevèrent, dominés par un formidable juron qui éclata dans la nuit :

— Capédédiou !… On danse donc ici ?… Courage ! nous voici, les belles !…

Deux hommes gisaient déjà à terre, les flancs troués, dégringolés des portières ; trois ou quatre s’enfuirent et les autres, qui ne voulaient pas abandonner leur proie, se mirent en défense.

Ils restaient bien là une demi-douzaine en face de Cocardasse et de Passepoil qui se rendaient à leur rendez-vous au Trou-Punais et venaient d’arriver à point pour dégourdir leurs épées et leurs bras.

— Vivadiou !… leur cria le Gascon en les voyant en ligne, vous aimez le gibier frais, mes pitchouns ; mais, foi de Cocardasse, celui-ci ne cuit pas pour vous.

— Du diable si vous y goûtez ! ajouta onctueusement frère Passepoil.

— Cocardasse et Passepoil ! s’écria Nivelle que la Fleury venait de délivrer. Les deux hommes du souper de Gonzague !…

— Eux-mêmes… pour vous servir… Et vous allez voir comme mon petit prévôt et moi nous défendons les dames.