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LA GRANGE-BATELIÈRE

La disparition subite de maître Louis, du bossu et de la jeune fille mystérieuse n’avait pas laissé de mettre en émoi toutes les commères.

La Balahault, la Guichard, la Morin, la Durand, la Moyneret, la beurrière, la regrattière d’en face, tout le ban et l’arrière-ban des bavardes avait voulu savoir ce qu’il en était et Berrichon était le seul qui pût les renseigner à ce sujet.

Aussi fut-il choyé, caressé, amadoué par ces rouées qui mirent en œuvre toutes les ressources de leur diplomatie pour le faire jaser.

D’aucunes — et celles-là avaient le plus de chances de succès — le prirent par la gourmandise, comme la beurrière, par exemple, qui le bourrait de tartines, et la gargotière, qui lui réservait son bouillon le meilleur. D’autres eurent recours aux moyens qui étaient en leur pouvoir : Mme  Moyneret, la sage-femme, lui lissa ses boucles blondes et lui fit cadeau d’une superbe garniture de boutons d’acier pour son justaucorps ; une autre lui ravauda ses fonds de culotte ; celle qui rafistolait les fourrures lui confectionna un chaud collier pour l’hiver avec la peau même de défunt son chat, un angora qu’elle avait pleuré six mois durant.

Jean-Marie mettait une certaine volupté à se laisser faire, à se laisser entourer de mille petits soins intéressés qui le dédommageaient des gronderies de maman Françoise sur sa paresse et sa mauvaise langue.

Mauvaise langue ?… que non pas ; il n’avait jamais été si discret.

— Je ne sais pas, je ne sais rien de rien, répondait-il invariablement à toutes les questions dont il était assailli.

Cependant il se hâtait d’ajouter :

— Soyez tranquilles, ça ne tardera pas, et les plus curieuses seront contentes.

Sur la foi de cette belle promesse, elles le cajolaient à l’envi, tandis que le garnement nourrissait le noir projet de les berner toutes, en bloc, quand elles n’auraient plus de cadeaux à lui faire.

— Mon poulet, tu nous roules, lui dit un jour la Guichard qui commençait à perdre patience.

— Ah bah !… fit Jean-Marie ; nous verrons ça demain avec les autres ; quant à vous, bernique, madame Guichard !

Il tourna les talons, très vexé en apparence qu’on eût douté de sa parole.

La Guichard n’en fit pas moins un nez quand les voisines lui annoncèrent que le rendez-vous était pour le lendemain, chez la beurrière, et que Berrichon dirait tout ce qu’il sait… et il en savait long, le cher mignon.

Qu’avez-vous donc fait à cet ange ? demanda sournoisement la Morin. Il a dit que, si vous y veniez, il ne parlerait pas.

— C’est pas Dieu possible !… Vous me direz au moins ce qu’il aura conté…

— Pensez-vous, chère dame !… Il nous l’a bien défendu.

— Méchant enfant !… Il a pris en mal ce que je lui disais et vous savez que je ne dis du mal de personne, vous le savez bien toutes ? Si je pouvais le voir, seulement…

Berrichon se garda bien de se montrer et quand, le lendemain, il passa devant la porte de la Guichard, en sifflant un air et les deux mains dans ses poches, elle eut beau l’appeler pour essayer de rentrer en faveur. Il la regarda d’un air narquois et lui fit une nique.

— Petit serpent, tu me paieras cela plus tard ! maugréa-t-elle, furieuse d’être évincée.