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LA GRANGE-BATELIÈRE

femme regarda Jean-Marie en dessous, et se campant devant lui, les deux poings sur les hanches :

— Dis donc, petit, fit-elle, je sais comment c’est fait, moi, une femme, puisque j’en mets tous les jours au monde. Faudrait voir à ne pas nous faire prendre pour une mécanique celle qui se mettait à sa fenêtre et qui était bien en chair et en os.

— En or, que je vous dis, répliqua Berrichon impertinent. Et puis, si vous voulez pas me croire, vous avez qu’à aller retrouver la Guichard.

— Comment qu’elle faisait pour chanter, alors ?

— Ah ! dame, ça, c’était malin, attendu qu’elle causait avec moi comme je vous cause et que j’y ai vu que du feu.

— Elle te causait, Berrichon… et qu’est-ce qu’elle te disait ?

— Oh ! des tas de choses bien douces, bien gentilles, que ça serait trop long à vous raconter ; puis elle chantait, elle riait, elle pleurait, elle mangeait, elle se mouchait, elle remuait ses yeux, sa bouche, ses bras… Et dire que tout ça, c’était pas de la chair… c’était de l’or !

— Un ouvrage du diable ! s’écria la Balahault. Je disais bien qu’il fallait les dénoncer ; pourquoi que tu l’as pas fait, toi, Berrichon ?

— Est-ce que je savais, puisque je croyais comme vous que c’était vrai ? D’abord, j’suis pas comme Mme  Moyneret, moi, je mets pas des femmes au monde.

— Alors, comment qu’elle faisait pour parler, pour chanter ?…

Jean-Marie leva un doigt en l’air, se pencha comme s’il allait leur parler à l’oreille à toutes, leur confier un secret de la plus haute importance qu’elles attendaient, bouche bée :

— Chut !… dit-il, elle avait des ressorts dans le ventre !!…

Il y eut autant de cris de stupéfaction que de personnes et la Bertrand, qui avait le nez en pied de marmite et le flair d’un épagneul, prétendit que c’était de la sorcellerie, qu’elle avait souvent senti le roussi dans la rue du Chantre.

Jean-Marie s’offrit pendant quelques instants le plaisir de jouir de leur bêtise à toutes. Quand il l’eut longuement savourée, il reprit :

— Il y a une chose qui vous a bien étonnées, tout comme moi, c’est qu’elle ne mettait jamais les pieds dehors…

— Oui, pourquoi ?

— Ben dame !… c’est qu’elle n’avait pas de pieds.

— Et des jambes ?

— Ah ! ça… j’y suis pas allé voir.

— Mais comment faisait-elle pour marcher dans la chambre ?

— Elle marchait pas… elle sautait, comme les moineaux sur les toits… Elle était ici… clac !… la voilà là-bas.

Joignant le geste à la parole, il se mit à exécuter des cabrioles à travers la boutique. En réalité, c’était pour aller tremper ses doigts dans un pot de crème et les lécher consciencieusement.

De pareilles confidences lui donnaient soif.

— Et savez-vous pourquoi elle n’avait pas de pieds ? reprit-il.

— Dis voir, poulet…

— Eh bien !… tout simplement parce que le bossu n’avait plus assez d’or dans sa bosse pour lui fabriquer la paire. Paraît qu’il en a demandé à em-