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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Cependant la Guichard précisait si bien et tout le monde paraissait si convaincu qu’il commença à être ébranlé lui-même, ce qui fit que tous les assistants pour achever de le persuader, se mirent à parler à la fois.

Chacun d’ailleurs avait vu, entendu ou senti quelque chose, ainsi qu’il arrive toujours parmi les foules, obéissant à une sorte d’hypnotisme.

Berrichon n’avait pas prévu ces conséquences ; aussi fut-il fort mal avisé de mettre le nez à la fenêtre pour voir ce qui se passait, et c’était même étonnant qu’il ne se fût pas précipité dans la rue afin de se rendre compte de tout ce brouhaha.

Pour une fois il était prudent, cela sans doute par un instinct naturel qui l’avertissait qu’il pourrait bien être question de lui. La présence du guet n’était pas faite d’ailleurs pour l’encourager et il est probable qu’il eût retiré plus vivement la tête si la Guichard, en l’apercevant, ne l’avait immédiatement désigné au sergent.

— Tenez, s’écria-t-elle, voilà un petit là-bas qui en sait long et vous n’avez qu’à le faire causer. C’est lui qui servait de valet au bossu, au ciseleur de Satan et à la dame ensorcelée.

Pour Jean-Marie, l’affaire prenait une vilaine tournure. Si le lait qu’il avait bu la veille et la crème dont il s’était blanchi l’estomac n’eussent pas été dans ses talons depuis longtemps, ils eussent fort bien pu tourner à l’aigre.

Il eut beau tirer la langue à la Guichard, sur un signe du soldat, il comprit qu’il fallait s’exécuter et descendre dans la rue. Il y vint le dos arrondi, avec une vague crainte de sentir les hampes des hallebardes lui caresser le bas des reins.

Le sergent, un grand diable taillé en hercule, le prit d’ailleurs délicatement par le collet et le posa devant lui, façon de procéder qui ne laissa pas d’intimider Berrichon.

Il essaya de nier ce qu’on lui reprochait, mais il ne pouvait lutter contre les affirmations de tous les assistants, d’autant plus acharnés et féroces que leur victime était un enfant.

Alors il tenta de s’esquiver en se glissant entre les jambes de ses adversaires. Le cercle était bien compact ; dix mains le repoussèrent au milieu, échec qui le démonta si bien qu’il lui fut impossible de répondre autrement qu’en bégayant des mots inintelligibles en même temps qu’il se mettait à trembler. C’était avouer qu’il était coupable.

Des huées éclatèrent de toutes parts, attirant Françoise Berrichon à sa fenêtre.

On laisse à penser quelle fut la stupeur de la vieille femme quand elle vit son petit-fils entre les mains du guet.

C’était une personne de résolution prompte. Abandonnant du coup ses casseroles, en quelques bonds elle fut au milieu du cercle qu’elle ouvrit en jouant des coudes assez brutalement, et vint entourer son enfant de ses gros bras rouges.

— Eh ben, quoi ?… Qu’est-ce que vous lui voulez à mon petiot ?… s’écria-t-elle avec colère.

Un mauvais éclat de rire fut la seule réponse des commères.

Ce n’était pas fait pour lui inspirer confiance.

— J’suis sa mère-grand, moi, reprit-elle durement ; et qu’on vienne pas y toucher… Qu’est-ce qu’il leur a fait, d’abord, à tous ceux-là ?