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COCARDASSE ET PASSEPOIL

lui demander n’importe quoi. Cependant il tenait avant tout à sa liberté personnelle, incapable de l’aliéner pour qui ou pour quoi que ce soit, excepté toutefois pour Mlle de Nevers.

Aussi quand sa grand’mère l’adjurait d’apprendre un état, il se mettait à lui rire au nez :

— Pourquoi faire ?… répondait-il. Il sera bien temps de s’occuper quand Mlle Aurore et le bossu seront de retour. Puisque j’ai des loisirs, j’en profite. D’ailleurs, de quoi te plains-tu, maman Françoise, puisque je ne fais de mal à personne ?

— Il ne manquerait plus que cela…

— Eh bien, alors ?…

— Eh bien !… quand un grand garçon comme toi a des mains au bout des bras, il doit s’en servir au lieu de vagabonder comme un chien qui n’a pas de maître.

— On s’en servira de ses mains, grand’mère… mais plus tard. Pour le moment, la besogne n’est pas assez relevée pour elles…

Des arguments aussi péremptoires et la force d’inertie déployée par Berrichon avaient fini par triompher des sermons de la bonne vieille, qui s’était résignée à le voir déambuler chaque jour par monts et par vaux et ne rentrer qu’à l’heure des repas.

Cependant, dès que Lagardère eut ramené sa fiancée à Paris, Jean-Marie tint sa parole. Il ne mit plus le nez dehors et Mlle de Nevers n’eut pas de page plus fidèle. Elle aimait à causer avec lui des tristes journées passées rue du Chantre, quand elle ne savait pas ce que devenait maître Louis. Son bonheur actuel s’augmentait encore en remuant les souvenirs d’une époque si peu lointaine et depuis laquelle, pourtant, des événements si importants avaient eu lieu.

— Ç’a été drôle, notre demoiselle, quand vous n’avez plus été là… Vrai comme je m’appelle Jean-Marie Berrichon, j’ai bien failli aller coucher à la Bastille avec maman Françoise, à cause de vous, ou plutôt à cause de ma langue…

— C’est vrai, tu étais bavard alors… T’es-tu corrigé un peu depuis ce temps ?…

— Oh ! oui… ça m’a guéri, cette aventure… Attendez, je vas vous la raconter. L’histoire des commères de la rue au Chantre amusa beaucoup Aurore, et Lagardère ne put s’empêcher de rire.

— Il y a de l’étoffe dans ce gamin, dit-il, nous tâcherons d’en faire quelque chose.

Il y avait eu cependant un point noir dans la reconnaissance de certains de nos personnages qui s’étaient trouvés en présence dans des circonstances rien moins qu’agréables.

Françoise et Jean-Marie avaient en effet gardé le plus mauvais souvenir de Cocardasse et de Passepoil, parce que ceux-ci les avaient jadis ficelés et attachés au pied du bahut à vaisselle.

Une seule circonstance atténuante pouvait être invoquée par les prévôts : le baiser déposé sur le front de dame Françoise par Amable Passepoil, ce qui aida pour beaucoup à la réconciliation. On a beau avoir été bâillonnée et malmenée, quand on est laide comme l’était la pauvre femme, on n’oublie pas un des rares baisers reçus dans sa vie.