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LA GRANGE-BATELIÈRE

C’est qu’en effet, s’il s’était abstenu de faire des niches depuis la fameuse aventure de la rue du Chantre, le petit-fils de dame Françoise n’en avait pas moins observé celles que faisaient ses amis les escholiers et les avait mises en réserve dans sa cervelle pour s’en servir à l’occasion. Disons à son honneur qu’il ne se fût peut-être pas trouvé à court s’il lui eût fallu en inventer.

Quoi qu’il en soit, il en avait un plein panier en réserve et se disposait d’autant mieux à les mettre en pratique sur-le-champ, qu’il ne s’embarrassait guère — de par son caractère même — des conséquences qui pourraient en résulter pour lui.

De ce jour, le marchand d’amandes eut un ennemi invisible qui commença à le harceler, tel un moucheron acharné après un lion.

Pour engager l’action, Jean-Marie alla tranquillement s’accroupir à côté de la borne qui servait au marchand de poste d’observation ; il paraissait très occupé en apparence à taillader, avec un méchant couteau, une baguette de coudrier et ne leva même pas la tête quand il entendit retentir à quelques pas le cri qu’il attendait :

Amendez-vous, amendez-vous !
AmeAmandes douces !

Sans défiance de ce gamin, l’homme vint s’asseoir à sa place habituelle et ne remarqua pas qu’une main s’était glissée prestement entre son séant et la pierre pour y placer une large galette de poix.

Ce n’était pas pour rien que Berrichon avait des savetiers pour amis.

— Eh ! que fais-tu donc là, l’ami ? demanda le marchand à son voisin d’occasion.

— Dame !… je ferais bien quelque chose si mon couteau était meilleur : mais je crois qu’il faut y renoncer.

Dédaigneusement, Jean-Marie jeta sa baguette et jeta un regard d’envie sur le panier d’amandes.

Ce n’était pas un criminel, ce petit gars, cependant sa conscience et son goût prononcé pour les friandises lui conseillaient de s’amender à la façon recommandée par le marchand.

— Il y a longtemps que vous en vendez ?… demanda-t-il. Vous venez souvent dans le quartier ?

— Longtemps… non… j’ai été blessé pendant la dernière guerre d’Espagne et je ne peux pas marcher beaucoup ; aussi, je viens parfois m’asseoir ici pour me reposer… Serait-ce que tu voudrais m’acheter des amandes ?

— Moi ?… Avec quoi ?… J’ai pas un rouge liard en poche.

— Les aimes-tu ?

— Tiens, je vous crois…

— Eh bien !… goûtes-en… mais ouvre l’œil à ne pas t’ébrécher les dents ; elles sont plus dures que le parapet du Louvre.

— Grand merci, dit Berrichon, j’m’en vas les casser chez nous.

Il s’éloigna avec une poignée d’amandes qu’il s’empressa de glisser dans ses poches à l’autre bout de la rue, se réservant de les grignoter plus tard.

Pour l’instant, il avait autre chose à faire et, blotti dans l’encoignure d’une porte, il surveillait l’homme, qui lui-même surveillait l’hôtel.

Au bout d’un instant, le marchand essaya de se lever. À sa profonde stu-