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Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/85

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LA GRANGE-BATELIÈRE

l’égout, le remonta jusqu’à plus de trois cents pas et fut bientôt convaincue, devant l’inanité de ses recherches, que non seulement elle n’avait rien entendu, mais qu’elle ne trouverait rien de ce côté.

D’autres eussent perdu patience. Mathurine était Cauchoise, et les femmes du pays de Caux, sans avoir la réputation d’être aussi têtues que les Morbihannaises, sont cependant tenaces en leurs idées. Elle ne se tint donc pas pour battue et reprit ses investigations sur l’autre rive.

L’insuccès de ses recherches antérieures ne l’avait pas découragée ; rien ne prouvait qu’elle dût désespérer, puisqu’il lui restait encore un coin de terrain à explorer.

Elle recommença donc à fureter le long de la berge et ne tarda pas à apercevoir une masse sombre étendue sur le sol.

Le cœur lui battit très fort à cette vue. Allait-elle trouver un être vivant ou un cadavre ? Était-ce Passepoil ou Cocardasse et ne pouvait-il même se faire que ce ne fût ni l’un ni l’autre ?

Tous les matins on trouvait ainsi, dans l’égout ou sur ses bords des ivrognes ou des victimes ; elle en avait entendu assez parler au Trou-Punais pour ne pas l’ignorer.

S’avançant sur la pointe des pieds elle s’arrêta à quelque distance, le cœur serré comme dans un étau, parce qu’elle ne pouvait voir le visage de l’homme qui était étendu sur le flanc et ne lui présentait que son dos.

Soudain, la glace qui étreignait son cœur se fondit en partie ; elle ne savait trop pourquoi, car Passepoil, en somme, était encore pour elle un inconnu l’avant-veille.

Elle venait de reconnaître les vêtements.

— Jésus, Dieu !… murmura-t-elle en tressaillant, c’est bien lui, ce pauvre M. Amable ! Pourvu que ce ne soit pas fini !

S’approchant tout près du corps, elle posa sa lanterne à portée et appuya tout de suite sa main à la place du cœur.

Quelques pulsations, bien faibles pourtant, lui firent éprouver une commotion violente et ses yeux se mouillèrent.

Cela lui fit du bien, c’était une sorte de détente à sa longue angoisse.

Alors, avec mille précautions, passant son bras sous la tête du prévôt, elle le souleva pour qu’il pût respirer plus à l’aise.

— Grand Dieu !… s’écria-t-elle en le voyant mieux, dans quel état ils l’ont mis !… Du sang et de la boue partout, sur ses joues, sur sa poitrine !… et trempé jusqu’aux os, grelottant le froid et la fièvre !… Il faudrait qu’il ait l’âme chevillée au corps pour s’en tirer, le pauvre !

Le malheureux Amable ne se doutait guère de cette tendresse penchée sur lui et guettant sur son visage un retour à la vie. Toutefois, au mouvement qu’on lui fit faire, il poussa un profond soupir, mais ses paupières restèrent fermées et son corps inerte.

Mathurine lui essuya le visage, en enleva le sang et les immondices ; puis elle fit au blessé comme un lit au creux de ses genoux et se mit à lui parler tout doucement, comme une mère à son enfant malade :

— Réveillez-vous, maître Passepoil, lui disait-elle. Si seulement vous pouviez me répondre, me dire où vous êtes blessé !… Ouvrez les yeux, parlez-moi, c’est une amie qui est près de vous, la Mathurine de l’auberge…

Amable soupira une seconde fois et n’en put faire davantage. On eût dit