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LA GRANGE-BATELIÈRE

Comme l’intérieur était encore plongé dans l’obscurité, la vieille alluma un antique quinquet qui jeta dans le taudis une lueur blafarde.

Une table boiteuse, deux escabeaux et dans un angle, un infect grabat, tel est le mobilier. Comme êtres vivants, il n’existait que la sordide petite femme et un chat tout noir dont les prunelles jaunes scintillaient dans le recoin le plus obscur.

Mathurine avait, comme toutes les paysannes de cette époque, un fond de superstition très prononcé et ne se trouvait qu’à demi rassurée dans cet affreux galetas fait de planches mal jointes, à travers lesquelles sifflait le vent.

— N’aie pas peur, lui dit la vieille. Il n’y a personne ici que moi et mon chat. Ton blessé y sera mieux que partout ailleurs. Pose-le sur le lit, nous allons voir un peu ce qu’il en est. Est-ce grave ?

— Je n’en sais rien, répondit la Normande.

— On va s’en assurer. Moi, je m’y connais quelque peu, petite ; c’est même pour cela qu’on me traite de sorcière.

Mathurine se recula d’un pas :

— Vous fréquentez l’esprit malin ? questionna-t-elle avec : effroi.

— Il y a des imbéciles qui le prétendent et je les laisse dire. La vérité, c’est que j’ai des remèdes à moi et que j’ai guéri quelquefois des gens que ces messieurs de la Faculté croyaient prêts à rendre l’âme. Entre nous, vois-tu, avec leur latin et leurs saignées, se sont les derniers des ânes.

La Normande ne vit pas la nécessité de la contredire et la prétendue sorcière reprit :

— Ne jacassons pas tant, jeunesse ; voyons plutôt ce qu’a celui-ci… D’abord un coup bien asséné au front… Il doit avoir une tête dure celui-là et il en sera quitte pour la marque. S’il n’a pas d’autre trou dans la peau, le mal n’est pas bien grand.

Avec des précautions dont on l’eût assurément crue incapable, la rebouteuse retira le justaucorps de Passepoil et découvrit la blessure faite par l’épée de la Baleine :

— Toujours rien de sérieux, murmura-t-elle, un peu de sang perdu et c’est tout ; mais il empeste, ton bonhomme, et ce qu’il est sale !

— Il a la fièvre, dit Mathurine en posant sa main sur le front brûlant de Passepoil.

— Dans un quart d’heure il n’y paraîtra plus, grâce à une potion que je vais lui donner.

La vieille attisa le feu qui couvait sous la cendre, puis elle alla quérir dans un coffre vermoulu quelques plantes sèches qu’elle jeta dans l’eau bouillante, cela sans aucun signe, ni aucune évocation qui pût révéler des pratiques antichrétiennes.

Mathurine se sentit un peu rassurée, malgré les frôlements du chat qui ne lui inspirait pas confiance.

Quand la vieille eut administré, dans un vieux pot ébréché, son remède à frère Amable, celui-ci ouvrit presque aussitôt les yeux.

Il éprouva une certaine surprise à se trouver ainsi, à demi vêtu, dans une maison inconnue, voyant, penchée sur lui, une face ridée qu’il n’avait rencontrée nulle part.

À coup sûr, il eût préféré trouver sur ses yeux le frais visage de Mathurine, Mais la mégère, qui avait son idée, avait empêché celle-ci de s’approcher.