Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
LA GRANGE-BATELIÈRE

— Jamais, s’écria Mathurine ; d’autant plus que la bande de Gendry me ferait un mauvais parti.

— Où penses-tu trouver un abri ?… Ce n’est pas maître Passepoil qui peut t’en donner un…

Mathurine rougit de nouveau :

— Non, dit-elle, je ne pourrais le suivre que si…

Elle s’arrêta, interloquée et n’osant achever sa pensée.

— Que si vous étiez mariés ! Inutile de t’en cacher, jeunesse ; je comprends et je vois que tu es une honnête fille. Cela n’empêche pas les choses de se compliquer. Je ne sais trop vraiment ce que tu vas devenir.

— À Dieu va ! murmura la Normande ; je me replacerai comme servante à Paris.

— Écoute, imposa la commère. Bien que pour beaucoup je sois sorcière parce que je connais un peu la vertu des plantes et que je m’en sers pour soulager les misères du pauvre monde, je fais plus souvent le bien que le mal et je ne vois pas pourquoi je n’agirais pas ainsi à ton égard. Si tu veux renoncer pendant quelques temps à voir ton amoureux, je te promets de te tirer d’affaire.

Cette perspective effraya quelque peu la Normande.

Ce sera pour bien longtemps ? demanda-t-elle.

— Cela dépendra de toi. D’ailleurs tu es libre d’accepter ou de refuser. J’ai une sœur aux Bénédictines de Notre-Dame-de-Liesse, et si tu veux entrer comme servante à leur couvent de la rue de Sèvres, tu pourras y rester tant qu’il te plaira… Mais tu comprends qu’on n’y reçoit pas les hommes et tant que tu ne pourras pas te marier avec lui…

— Oh ! interrompit Mathurine avec un profond soupir, il n’est pas question de cela, et sans doute qu’un homme de l’importance de maître Passepoil, ne voudra pas facilement de moi… jamais encore il ne m’a parlé.

— Ah bah !… Eh bien, ne te fais pas de mauvais sang à cet égard, fillette. Il te parlera, car je viens de lire dans ta main que tu seras un jour sa femme…

La Normande faillit s’évanouir de bonheur…

— Bientôt ? s’écria-t-elle.

— Quant à cela, je n’en sais rien… Alors, acceptes-tu ?

— Oui-da, et je vous en remercie bien sincèrement ; en entrant ici, je n’avais pas cru y trouver une si brave femme.

— C’est au mieux !… Laisse-moi arranger les choses, et surtout ne lui souffle pas un mot, à lui surtout, de ce que nous venons de convenir.

Elles continuèrent à jacasser ainsi pendant près d’une heure, jusqu’à ce que frère Passepoil entr’ouvrit un œil. Il ne tarda pas à les ouvrir bien grands tous les deux lorsqu’il aperçut à son chevet Mathurine qui le contemplait comme en extase.

Le sommeil avait réparé les forces du prévôt et maintenant il se sentait tout à fait bien, sauf un peu de lourdeur à la tête. Aussi s’empressa-t-il de se mettre sur son séant et de regarder autour de lui, bouche bée et les yeux fixée sur la Normande.

— Eh quoi ? dit-il, je suis donc toujours au Trou-Punais ?

— Point du tout, monsieur Passepoil, balbutia l’interrogée d’une voix tremblante d’émotion, et ce n’est pas de ma faute, car je vous ai assez supplié de ne pas en sortir. Cependant, il vaut peut-être mieux que vous soyez ici ?