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LA PEUR DES BOSSES

— Nous nous déguiserons…

— C’est qu’il me répugnera fort de me cacher là où j’allais le front haut, devant le peuple et la cour, qui me voyaient passer et qui disaient : « C’est Philippe de Mantoue, prince de Gonzague, le plus puissant après le Régent et peut-être avant lui !… »

— Le temps n’est plus à l’orgueil, monseigneur, il est à l’action !

— C’est vrai ! Ton projet me sourit. Lagardère se défiera moins de la dague cachée sous le justaucorps d’un bon bourgeois que de l’épée pendue au flanc d’un seigneur… Par le diable ! la dague n’en fera pas moins son office.

— Votre fortune à venir est à ce prix…

— Et la tienne aussi, Peyrolles, de même que celle des autres. Va me les chercher un peu que je leur fasse part de la bonne nouvelle.

Le factotum, empressé, ayant été quérir les roués, ceux-ci entrèrent en groupe dans le cabinet de travail du prince, et devinèrent à l’expression joyeuse de son visage que quelque chose se préparait dont ils allaient être instruits.

Le front de Peyrolles, ordinairement barré d’un pli de dissimulation, s’éclairait à l’égal de celui de son maître ; car le factotum avait en ce moment conscience de sa valeur et du placement qu’il venait de faire pour le jour où la fortune sourirait de nouveau à celui qui tenait dans sa main leur destinée à tous.

Quant à Philippe de Mantoue, il avait mis de côté l’air souverainement hautain dont il se séparait rarement pour se frotter les mains avec une joie évidente.

Maintenant qu’on l’avait stimulé, il ne comprenait plus qu’il avait pu s’arrêter, ne fût-ce que quelques jours, dans la réalisation de sa tâche, et avec son audace habituelle, il était prêt à mettre les bouchées doubles. S’il avait des instructions à donner à ses acolytes, ce n’était point pour les convier à l’inaction, ni au plaisir.

— Messieurs, commença-t-il, ne trouvez-vous pas qu’on s’ennuie ferme à l’ombre de l’abbaye de Westminster ?

— Palsambleu ! répondit Montaubert, je puis me flatter de ne pas avoir eu une idée gaie depuis que je suis ici.

— Si cela devait durer, ajouta Nocé, peut-être devrions-nous songer à nous faire ermites pour nous distraire un peu.

Tous les autres parlèrent à leur tour, et il ne fut pas jusqu’au baron de Batz et au gros Oriol, qui ne vinrent apporter leur obole de malédictions contre le séjour en Angleterre.

— Rassurez-vous, messieurs, reprit Gonzague. Ce pays est trop humide et les épées s’y rouillent. Qui de vous devinera où je vais vous mener ?…

— Retournerions-nous en Espagne ? demanda Nocé. Par ma foi, les moines y sont moins fades que les prédicants d’ici ; mais je regrette surtout son ciel bleu et ses señoras.

— Cherchez ailleurs ; nous avons fait en Espagne tout ce que nous avions à y faire.

— C’est à Venise, dit Oriol, qui n’avait jamais vu l’Italie et n’eût pas été fâché d’aller y faire un tour.

Gonzague le toisa avec ironie :

— Voudrais-tu donc y chercher tes ancêtres dans la galerie des doges ? ricana-t-il.