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CONTE DE NOËL

Les formalités remplies, le père suit le croque-mort ; personne n’a le temps de conduire le petit de la voisine au cimetière, et les voilà partis tous les deux silencieusement à travers Paris, terne, mort, noir, perdu dans la brume épaisse, à peine éclairé par un jour bas que la neige elle-même est impuissante à rendre plus vif.

On va à Ivry ; la route est longue, le froid mord les oreilles des deux hommes et le père ne marche plus derrière le croque-mort, il s’est rapproché et l’on fait un bout de causette.

— Heureusement que mon patron a été un bon zigue, il m’a avancé 20 francs, sans ça on ne pouvait pas enterrer le gosse.

— L’hiver est dur au pauvre monde, dit l’homme noir, avec la résignation joviale des malheureux.

— Pour sûr.

Et comme il a bon cœur, le croque-mort, il offre un verre au camarade chez le bistros.

— À mon tour, dit le père.

— Non, tout à l’heure.

Et sagement, de distance en distance, les deux hommes ne prennent qu’une tournée.

Cependant voilà l’avenue des Gobelins, la place d’Italie, un soleil terne a l’air de ricaner sur la tête des malheureux dont le visage est meurtri, les mains bleuies par le froid.

— Vrai, c’est trop dur, entrons là nous réchauffer