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nous aveuglant la bonne et moi de sang et de muscles hachés même, comme chair à pâtée…

Le premier moment de stupeur passée et après m’être longuement lavé et essuyé je trouvai à ma place, sur ma serviette, dans sa salle à manger, ce court billet :

« Mon pauvre ami, déjeune sans nous. Tu viens d’assister à une belle expérience : le suicide foudroyant par une pilule de mélinite. Il fallait que cela finisse ainsi. J’ai trop souffert. Que veux-tu, c’est si bête d’aimer sa femme, même indigne et d’avoir du cœur !

« Comme je ne veux pas te causer de dépenses inutiles, j’ai laissé à ma blanchisseuse et à mon tailleur que j’ai convoqués chez moi pour un quart d’heure après notre mort, le soin de réparer ta toilette. Ils sont payés d’avance.

« Ton vieux camarade pour la mort ou l’éternité. »

Suivait une signature que je veux taire ici. Après les formalités nécessaires et judiciaires, rentré chez moi, je jetai involontairement les yeux sur ma glace et poussai un cri de surprise. La commotion et l’émotion avaient été trop violentes pour moi.

Aussi de gris et poivre et sel que j’étais, avec ma barbe presque blanche, j’étais devenu subitement noir comme de l’encre, comme à l’heure de ma jeunesse !

Explique qui pourra ces curieux phénomènes psycho-physiologiques. Pour moi je donne ma