Page:Pavlovsky - En cellule, paru dans Le Temps, 12, 19 et 25 novembre 1879.djvu/10

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Ce même jour commencèrent les interrogatoires. Ils continuèrent avec diverses interruptions pendant plus d’un mois.

Quand je pense maintenant à ce temps, il m’apparaît comme un délire de fièvre chaude. Mon cerveau travaillait nuit et jour, sans cesse ni repos ; il fallait se souvenir, sans jamais oublier, même pendant un instant, que les paroles échappées ne sont pas des oiseaux qui ont quitté leur volière et qu’on peut rattraper pour les y remettre. Le temps passait avec une rapidité que je n’ai jamais connue ni jusque-là ni plus tard.

Les interrogatoires terminés, les jours redevinrent longs et douloureusement monotones. L’ennui me rongeait. Je pouvais, en m’éveillant le matin, prédire tout ce qui m’arriverait dans le courant de la journée, même ce que je penserais et ce qui me tourmenterait… Il me semblait que des années s’écoulaient avant la venue de la nuit ; il me semblait que la terre et le soleil, l’univers entier et le temps s’étaient arrêtés et resteraient pour toujours immobiles. Mais lorsque la journée était finie, elle perdait pour moi toute durée, il me semblait que la minute qui venait de s’écouler avait été plus longue que tout le jour entier. Mon système nerveux avait acquis une acuité morbide : le moindre bruit, un frôlement me causaient des soubresauts. Les plaintes lugubres du vent d’automne s’engouffrant dans la cheminée me jetaient dans des accès d’une horrible tristesse ; ces hurlements me semblaient être des gémissements et des pleurs, et je croyais reconnaître les voix de mes compagnons d’infortune. Une fois j’entendis un véritable gémissement, je me mis à trembler de tout