Page:Pavlovsky - En cellule, paru dans Le Temps, 12, 19 et 25 novembre 1879.djvu/12

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de son père avec la barbe duquel il joue en riant de tout son cœur d’un joyeux rire d’enfant ; est-ce possible que ce soit lui qu’on ait muré dans cette tombe pour ne jamais en sortir ? Cela me paraît si invraisemblable que je me persuade que le petit garçon n’a rien à faire avec le jeune homme… Le prisonnier du no 4 est parfaitement étranger à l’enfant, ils n’ont aucun rapport l’un avec l’autre… mais comment est-ce donc en réalité ? Est-ce possible que ce soit pour toujours, à jamais ! Et ce petit garçon, comme il était naïvement heureux jadis, comme il était insouciant, comme il pressentait peu que de sombres nuages s’amoncelleraient au-dessus de sa tête !… Je vois autre chose ; je revois ces mémorables matinées où la conscience de moi-même et de tout ce qui m’entourait s’éveilla pour la première fois en moi. Ah ! qu’il m’est pénible de faire revivre ce souvenir-là !

C’était à la campagne, par une belle et claire journée d’août. Cela sentait le foin et l’absinthe fauchés ; des fils blancs portés par le vent voltigeaient partout dans l’air doux et pur. Je me vois sur le perron du magasin de grain de mon père, je regarde les chariots attelés de bœufs et chargés de blé qui s’approchent.

Tout est neuf pour moi à la campagne ; l’air si pur que je respire me semble une caresse. Tout m’enchante ici : les vieilles bâtisses vermoulues, leurs toits de chaume moussus et le groupe de paysans qui s’avancent, de longs bâtons blancs en main et